Au travers des articles ci-après, découvrez la vie et le parcours de François de Fossa mais aussi son époque, ses contemporains, et comment il a été redécouvert.

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Matanya Ophee (1932-2017) : une vie pour la musique de guitare

À travers  le monde, de nombreuses personnes  se souviennent de Matanya Ophee, mais leurs idées diffèrent sur lui. Il était actif dans de nombreux domaines ainsi qu’à propos de  divers personnalités.
 

La communauté mondiale des collectionneurs, savants et interprètes de guitare se souvient de Matanya pour sa contribution précieuse à notre connaissance de l'histoire de la guitare, de sa musique et de ses compositeurs. Le prix de leadership industriel 2011 qu'il reçut de la part de la Guitar Foundation of America est éloquent. Il y a tout juste un an, à l'été 2017, il a été distingué Président Honoraire de l'association Les Amis de François de Fossa, qui  met en valeur le compositeur-guitariste dont la notoriété récente s'est imposée grâce à la découverte et aux recherches de Matanya.


D'autres se souviennent de lui en tant que camarade pilote pendant de nombreuses années au sein de la grande compagnie US Airways. Ceux qui vivent depuis longtemps dans sa Jérusalem natale se souviennent peut-être d'un adolescent joyeux vendant des livres au porte à porte dans les années 1940, d'un opérateur de presse d’imprimerie ou d'un chauffeur de camion 18 roues.

Sa vie fut vraiment extraordinaire. Pilote de combat dans l'armée israélienne, en 1956 il a survécu à la campagne du Sinaï (lors de l'Opération Kadesh). Devenu un guitariste classique, il a développé un talent de chercheur passionné des trésors oubliés des répertoires de guitare européens post-napoléoniens et a créé la société d'éditions de musique de guitare de renommée mondiale – les Éditions Orphée. Il est l'auteur de nombreux articles dans diverses langues et d’un livre fondamental sur l'histoire de la musique pour guitare : Essays on guitar history livre extrêmement intéressant et prenant, contribution majeure dans le domaine de la guitare. L’homme a appris le russe juste en ayant lu Le Maître et Marguerite de Mikhail Bulgakov dans sa version originale !

La découverte de François de Fossa était l’un de ses projets les plus importants, celui qu’il chérissait le plus. Il n’y a guère de précédent dans la recherche musicale. Chaque chercheur serait heureux de trouver une composition inconnue ou une lettre d'un compositeur. Mais retrouver un compositeur entièrement méconnu et restaurer sa biographie et son travail créatif est une chance difficile à croire, une combinaison rare de vastes connaissances, de capacités de recherche audacieuses, d'instincts et de trouvailles qui récompense un héros aventureux. Sa curiosité sans bornes l'a amené à Perpignan, où il a découvert l'histoire de la famille de Fossa et vingt-sept ans de  correspondance du compositeur avec sa sœur Thérèse Campagne, 300 lettres - encore une chance inouïe. Toutes ses connaissances se sont accumulées parallèlement à des informations sur les éditeurs de musique, aux catalogues de bibliothèques et aux annonces de ventes aux enchères, ainsi qu'à des comparaisons graphologiques d'écrits afin d'identifier le copiste ou le possesseur, des juxtapositions de dates et de lieux de toutes les personnalités de son histoire, etc. Comme il le disait souvent à propos de ses recherches, il souhaitait s'identifier aux objets de ses investigations et se sentir comme s'il avait vécu à côté d'eux. Quoi qu’il en soit, l’étude minutieuse de centaines de livres dans des bibliothèques et des archives musicales du monde entier a permis à Matanya de construire la biographie de De Fossa et de rassembler la quasi-totalité de ses compositions jamais mentionnées jusqu’alors. Il les a toutes publiées.

De Fossa, un grand amateur de Luigi Boccherini, a également conduit Matanya Ophee à la découverte de son œuvre. Compositeur italien, auteur de nombreuses œuvres de qualité et populaires, notamment pour guitare, Boccherini était très en vogue. Il a réalisé lui-même de nombreux arrangements de ses œuvres pour différents ensembles instrumentaux et a souvent réutilisé les mouvements préférés de ses différentes pièces dans de de nouvelles compositions musicales. Ses clients en étaient très heureux, mais pour les chercheurs, c’est un sacré défi de cataloguer ses travaux et de comprendre les correspondances entre tel mouvement et telle composition originale. Matanya a également contribué à cette recherche. En fouillant dans les archives de Perpignan, Paris et Madrid, il a retracé la correspondance entre Louis Picquot, un collectionneur passionné des manuscrits de Boccherini et de sa biographie, et la marquise de Benavent, l’une de ces nobles ayant commandé divers arrangements à Boccherini.

Fernando Sor – le plus célèbre compositeur français de guitare du XIXe siècle – fut un autre objet de recherche de Matanya. C'était un grand défi. En tant qu'éditeur, Matanya a toujours fourni les informations sur les œuvres qu'il a publiées. Mais il est apparu que les premières éditions de la musique de Sor n’étaient pas toujours claires quant aux dates des compositions, à leur numéro d’opus, à l’identité des dédicataires, aux sources des thèmes musicaux dans les cycles de variations, etc. Parfois, l’auteur lui-même posait question. Matanya s’illustra davantage à la recherche de tous ces détails. Comme il le disait souvent, les détails jettent une lumière sur la biographie d'un grand guitariste, et révèlent les problèmes politiques de l’Espagne post-napoléonienne, la saga de l’exil politique de Sor, etc. Le court séjour de Sor en Russie a amené Matanya à Moscou où légendes et anecdotes locales ont souvent remplacé des éléments d’information. En effet, qui croira aujourd’hui que Ferdinand Sor a été tellement impressionné par le jeu du célèbre guitariste russe Mikhail Vyssotsky, que, par désespoir, il a démoli sa propre guitare sur le piano à queue.

Selon une autre version, il l’a cassée sur la tête de Vyssotsky. Bien sûr, aucune de ces anecdotes n'était vraie. Des sources russes ont attribué à Sor la première utilisation de certains airs russes comme thèmes pour des  variations. Matanya Ophee a révélé qu’on pouvait en attribuer la préséance au  violoniste Bernhard Romberg. Il y avait aussi un dédale d'arrangements. N’oublions pas que les Russes jouaient –et beaucoup jouent encore– sur une guitare à sept cordes. Cela signifie que tout le répertoire populaire des guitares occidentales pour guitare à six cordes devait être réorganisé à l’usage des Russes. Il n’est donc pas étonnant qu’un autre guitariste Andrei Sychra ait arrangé les œuvres de Sor et inversement. Les deux noms apparaissent en tant que compositeurs dans différentes éditions. Qui a plagié qui ?

Et enfin Matanya fit ressurgir Nikolai Petrovich Makarov (1810-1890), personnage fascinant et figure remarquable de l’histoire de la musique pour guitare, ajoutant ainsi un important chaînon manquant au paysage musical européen du milieu du XIXe siècle. En tant que guitariste, Makarov était généreux et un grand passionné, un véritable virtuose, avec une oreille délicate et un goût sensible. Il était enthousiasmé par la recherche du meilleur répertoire et des instruments de la meilleure qualité. Alors, après s'être familiarisé avec le monde des guitares européennes et avoir compris qu'il était en train de connaître une certaine stagnation dans la maîtrise du répertoire et de la production d'instruments, il organisa à Bruxelles (1856) un concours international qui fut un évènement historique très stimulant. Makarov possédait une merveilleuse collection de guitares des meilleurs maîtres luthiers européens et russes. Enfin, il a laissé des mémoires passionnantes et très instructives. Matanya en a fait une traduction révisée qu’il a publiée.

Matanya a beaucoup réfléchi à la pratique du concert d’aujourd’hui. Il  disait  que la guitare est un instrument de chambre. Le salon est son environnement naturel. De plus, à son âge d'or, dans la première moitié du XIXe siècle, la règle était d’associer divers artistes interprètes, en alternant souvent les  instrumentistes et les chanteurs.  Ainsi, lorsque différents musiciens se mêlent au sein d'un même événement musical, cela permet d’éviter une certaine monotonie. Certes, plus il y a de participants, plus les honoraires sont faibles. Mais cela nous ramène au noble passe-temps d'amateurs éclairés, à l'origine de la musique pour guitare.

Peu de gens savent peut-être que « Ophee » était un pseudonyme qui signifie « Caractère » en hébreu ; C’était en effet un homme de caractère. Son véritable amour était la guitare et le choix de son pseudonyme n’était pas sans allusion au mythologique Orphée et à sa lyre dorée, l’ancêtre supposée de la guitare. Matanya, cependant, est son nom d'origine, et cela qui signifie « donner ». Il a incarné ces noms à merveille, avec dignité, avec amour pour les gens et pour la musique. Matanya aimait citer l’aphorisme de Blaise Cendrars, qui a changé sa vie : « On n'a pas besoin de beaucoup de talent ni de connaissances. Tout ce qui est requis est un amour pour ce qui est vrai, une curiosité profonde et un sentiment d'être. »

Marina RITZAREV (2018)
traduit de l'anglais par Jean-Claude Aciman

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Où donc, vers quel insoupçonnable paradis se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

© 2015 par Matanya Ophee.

Je vais commencer par une question qui a été postée récemment par Met Barran sur son blog : Où donc, vers quel insoupçonnable paradis, se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

À ma première conférence consacrée à François de Fossa, il y a de cela dix ans, je vous ai présenté les circonstances qui m’avaient conduit à la découverte de François de Fossa et de sa musique. Le moment le plus fascinant de cette saga fut certainement lorsqu’on retrouva le fonds Fossa dans les Archives Départementales des Pyrénées-Orientales. Il est courant dans le domaine général de la musique, de découvrir et d’étudier les traces écrites laissées par les compositeurs : les esquisses des symphonies de Beethoven, les lettres écrites par Tchaïkovski, Bach se plaignant de ses rémunérations aux autorités, le contrat entre Paganini et Legnani en vue d’une éventuelle collaboration, une collection vraiment énorme de documents originaux et un nombre innombrable de manuscrits, tant personnels que publics.

Malheureusement, nous n’avons pas accès à ce genre de documentation lorsque nous étudions les guitaristes du début du 19e siècle. Certes, nous avons quelques lettres écrites par Giuliani ainsi que des preuves archivées, découvertes récemment, qui font état de son génie musical et de son art de mettre au monde des enfants illégitimes. Ont aussi subsisté quelques lettres de la main de Sor, quelques manuscrits de Carulli et des documents permettant d’établir les dates de naissance et de mort de ces guitaristes. Un triste dossier qui complique nos efforts pour apprendre les détails et la biographie de nos ancêtres musicaux.

En comparaison, le fonds Fossa est une archive unique en son genre. Il offre, en effet, une vue d’ensemble complète de l’homme et de sa vie. Il contient, en plus des copies de lettres qu’il a rédigées à des amis et à sa famille, un nombre considérable de copies de lettres qui, elles, étaient destinées à ses chefs militaires et à ses associés. S’y trouve aussi la copie d’un compte-rendu presque complet de son état de Service, qui fait état de sa carrière militaire dans l’armée française et qui contient aussi des informations pertinentes de son passage au sein de l’armée espagnole.

Y ont été aussi retracés, des documents de nature plus explicite, l’un d’entre eux révélant une relation illicite qu’il aurait entretenue avec une certaine Doña Josefa Ortiz de Domingez dite La Corregidora, une femme qui selon ses dires, ne le séduisit pas une, mais deux fois.

Il existe aussi dans ce fonds d’archives, un grand nombre de documents relatifs à sa femme, Marguerite Sophie Vautrin et à ses deux garçons, Victor et Laurent. Si l’on ajoute les documents répertoriés dans les archives de l’armée française au Château de Vincennes, qui se rattachent à lui et à ses fils, et que l’on y ajoute ses dossiers inventoriés aux archives de l’armée espagnole, –ceux-là, à Segovia en Espagne–, on commence à réaliser l’ampleur du trésor d’informations que nous avons sous la main, une situation unique et qui n’existe tout simplement pas dans les annales de l’histoire des autres compositeurs-guitaristes du début du 19e siècle.

Malheureusement, dans toute cette richesse de documents, il n'existe aucune copie de la musique qu’il avait publiée, ni aucun manuscrit qu'il avait dû préparer au cours de son long engagement musical. Il est tout simplement inconcevable que de Fossa, compositeur si impliqué dans le monde de la musique et ayant publié ce qui peut être considéré comme étant la meilleure musique pour guitare de son temps, n’en ait conservé trace. Connaissant le soin qu’il apportait aux autres documents de sa vie, une question cruciale se pose : Où se trouvent les notes que nous aurait laissé de Fossa à sa mort ?

De la correspondance entretenue avec Louis Picquot, nous savons que les partitions des quintets avec guitare de Boccherini que De Fossa avait copié à Madrid en 1811 étaient louées à Picquot mais ce dernier ne les jamais rendues. Probablement, ces manuscrits furent mis en vente par l’antiquaire Berlinois Leo Liepmannssohn et vendus par la suite, en 1922, à la Bibliothèque du Congrès à Washington où ils sont encore préservés.

Il ne fait pas de doute qu’un compositeur aussi actif, même si sa source principale de revenus ne dépendait pas de la musique, aurait conservé et préservé tous ses manuscrits, transcriptions et arrangements en les archivant avec la même diligence dont il faisait toujours preuve pour la conservation de ses autres documents personnels.

La Déclaration des Mutations de Décès, rédigée le six novembre 1849, cinq mois après sa mort, donne une description détaillée de la valeur de ses biens. Outre les détails de divers documents financiers, les premières entrées font état de ses biens matériels : 730 francs, note la première se rapportant à son mobilier, sans détailler ce qui y est inclus.

Fait intéressant, un inventaire complet mené et certifié par M. L’Avocat, notaire public, le 1er décembre 1849, stipule que dans les biens se trouvent quatre guitares et une harpolyre, d’une valeur établie à 17 francs.

Il est aussi mentionné dans le document que la succession contenait une précieuse collection de manuscrits que la veuve, Marguerite Sophie Vautrin, avait hérité de son père et que, pour cette raison, la valeur de ceux-ci n’avait pas été incluse dans l’héritage de son époux.

Il nous est difficile aujourd’hui d’évaluer ce qu’auraient pu être ces manuscrits. Je suppose que la déclaration stipulant qu’ils provenaient de la part d’héritage du père n’était simplement qu’une façon d’éviter que cette collection de manuscrits ne fasse partie de la succession, parce qu’elle avait déjà été donnée par le compositeur de son vivant à son fils aîné, Victor de Fossa. Au moment de la mort de son père, Victor de Fossa était toujours en service dans le 1er régiment d’infanterie de marine en garnison à la Guadeloupe. Peu de temps après son retour de la Guadeloupe et vivant dans la maison de sa mère, 112, rue de Grenelle à Saint-Germain-des-Prés, il rédigeait, le 8 février 1854, ses dernières volontés et son propre testament.

Ce testament est divisé en quatre parties. L’article 1 traite d’un malheureux conflit que Victor aurait eu avec sa sœur Cécile, l’accusant de « séparation violente et volontaire de sa famille ». Peut-être fait-il référence au fait qu’elle soit devenue nonne et déclare que d’aucune façon, elle ne pourrait « prétendre en rien à ce qui pourrait lui revenir de ma succession ».

Dans l’article 2, il lègue la totalité de ses biens futurs à son frère Laurent de Fossa ainsi qu’à ses héritiers légitimes, « à l’exclusion formelle de ma sœur ». L’article 3 envisage ce qu’il faudrait faire dans le cas où il mourrait avant sa mère. 

L’article 4 est finalement celui où nous trouvons des informations au sujet de certains manuscrits. Je vous le lis en entier :

« Article 4. (Particulier) Héritier, d’après la volonté de mon digne père, de manuscrits précieux, fruit du travail et des peines de toute la vie de mon aïeul, je déclare formellement ici que cette partie de ma succession ne pourrait revenir à mes enfants, si j'en ai, seulement dans le cas où j'aurais un garçon : sinon, ces manuscrits retourneront en toute propriété à mon frère Laurent de Fossa, ou à l'un de ses héritiers directs mâles. En cas de décès sans que les conditions mentionnées ci-dessus pussent être remplies, je donne et lègue en toute propriété lesdits manuscrits à la Bibliothèque impériale, à la seule condition, si elle accepte ce legs, de ne s'en dessaisir, à aucun prix, en faveur du Roussillon et particulièrement de la ville de Perpignan. »

De toute évidence cet article ne parle pas des manuscrits de musique de son père François de Fossa le compositeur, mais bien de ceux de son grand-père, François de Fossa, le juriste. Il est très peu probable, ayant émigré en Espagne, quelques années après la mort de son père en 1789, à l’âge de dix-sept ans, que de Fossa ait eu en sa possession les manuscrits de son père. Il est toutefois possible qu’il ait pu y avoir accès à son retour en France vingt ans plus tard. Cependant, je suis d’avis que la mention du grand-père, lequel n’a vraisemblablement jamais été connu par Victor de Fossa, ait été fondée soit sur des informations erronées qu’il avait reçues de son père, ou, qu’il s’agissait de masquer la nature de ces manuscrits pour des raisons juridiques quelconques, de la même manière que celle employée par sa mère. 

D’autre part, l’étrange contrainte qu'il a imposée, à savoir que ces manuscrits ne devraient en aucun cas aller à la ville de Perpignan, suggère qu'ils étaient en effet des manuscrits créés par François de Fossa, le juriste et directeur du département de droit de l'université de Perpignan. Une enquête sur la provenance de ces manuscrits, appartenant maintenant au fonds Fossa, en particulier en établissant précisément s’ils sont arrivés là en même temps et de la même origine que tous les documents concernant François de Fossa le soldat/compositeur, déterminerait si Victor de Fossa a eu en effet  en sa possession les manuscrits juridiques appartenant à son grand-père. 

Victor de Fossa était mort le 11 Mars 1854, un mois après la rédaction de son testament. Il est clair que son jeune frère Laurent est devenu l’exécuteur officiel de l’héritage de son père et que c’est grâce à lui que cette magnifique collection de documents a survécu. Mais je dois demander à nouveau : Où donc, vers quel insoupçonnable paradis se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

Le dossier Laurent de Fossa dans les archives de l’armée française du Château de Vincennes nous éclaire considérablement sur la nature du jeune homme. Une année après la mort de son père, à l’âge de 18 ans, il s’enrôle à l’école spéciale militaire. S’ensuivra une illustre carrière militaire durant laquelle il occupa divers postes, principalement celui d’officier d’état-major. En 1859, il participe à la bataille de Solférino en Italie, où il est blessé. Il reçoit plus tard la décoration de Chevalier de la Légion d’honneur.

Un an plus tard, il se mariait à Paris avec Anna Claire Rosalie Santerre de Bôves, la fille d’Armand Santerre de Bôves, le premier directeur du système de chemin de fer français. Ce mariage fut apparemment heureux. Peu de temps après, il portait le noble titre de Comte, un titre de noblesse que son père semble n’avoir jamais pris, même si, du fait de sa noble descendance, il y avait droit.

Ce présumé titre permit à sa femme d’être surnommée La Comtesse de Fossa, un titre qu’elle a porté toute sa vie et en vertu duquel elle a été enterrée dans le caveau de famille de son père.

La carrière militaire de Laurent ne tarda cependant pas à péricliter. Pour des raisons qui lui échappent, on le força à quitter son poste à Perpignan et on lui en assigna un à Bastia, en Corse. Là, il s’engagea avec un marchand de vin dans des affaires douteuses de contrebande de whisky en provenance de Marseille. Il eut, de plus, des altercations physiques et des démêlés légaux avec le consul d’Angleterre à Bastia, et par la suite, on l’accusa d’organiser des tirages illégaux de loterie avec des sociétés de loterie allemandes. Il fut réprimandé à maintes reprises par le tribunal militaire et plus tard en 1868, il fut contraint de démissionner de l’armée. Un an après, en août 1869, il fut condamné à 13 mois de prison pour un crime d’abus de confiance. En septembre de cette même année, il se déclara en faillite. Par conséquent, les autorités militaires lui retirèrent son droit d’adhésion à la Légion d’honneur et lui interdirent de porter quelque décoration que ce soit, française ou étrangère.

Le 12 mai 1880, il arriva à New-York et devint le trésorier de la « Mutual Stock Operating Company » et de la « Guarantee and Income Company », deux entreprises sur lesquelles planaient des allégations d’escroqueries.

Il est arrêté et inculpé avec le président de ces deux sociétés, un certain Michel P. Caffe, et Charles M. Wyant, son secrétaire, pour avoir obtenu de l’argent par l’intermédiaire de déclarations frauduleuses. Un rapport détaillé relatant ces faits se trouve dans le New-York Times du 23 décembre 1880.

Cet article contient des informations selon lesquelles des détectives New-yorkais avaient pu établir que :

« De Fossa était issu d’une famille française noble. Il avait fait face à des accusations de fraudes et avait fui. Durant son absence, il avait été reconnu coupable et avait été condamné à une peine de 20 ans d’emprisonnement et de travaux forcés. Sa famille, subséquemment, avait obtenu une remise de peine en payant toutes les dettes et tous les dommages résultant de ses crimes. Entre-temps, de Fossa était allé en Belgique et y avait ouvert une salle de jeux, mais s’était vite vu contraint de s’enfuir aux États-Unis. L’été d’avant, il était retourné en France et s’était retrouvé dans une situation qui lui avait causé de sérieux ennuis, une situation pour laquelle il lui fallut débourser 20 000 FR pour se tirer d’affaire. »

Que ces allégations soient vraies ou fausses, il est clair que la vie de Laurent de Fossa, après qu’il eut quitté le service militaire, fut empreinte de bouleversements et de perturbations.

Quelques années après son arrestation à New York, le 30 décembre 1888, son épouse, la Comtesse de Fossa, avec la participation de son père M. Santerre de Bôves, a annoncé la présentation d’un spectacle sous le titre « Ombres Françaises ». L’annonce, dessinée par son fils de 27 ans François, qui représente en particulier la figure d’un homme militaire cachant son visage sur une table d’écriture, peut être interprétée de plusieurs façons différentes. Cela nécessiterait des recherches qui dépassent  mes moyens limités.

Il est tout à fait raisonnable de supposer qu'à cette époque, Laurent de Fossa n’avait plus aucun contrôle direct sur la collection de documents que lui avait léguée son frère, laquelle se trouve maintenant dans les archives départementales. Mais, encore une fois, la question se pose : Où donc, vers quel insoupçonnable paradis se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

Bien que nous ne puissions établir avec certitude cet état de choses, il semblerait que Laurent de Fossa ait vendu quelques manuscrits de musique de son père aux États-Unis.

Au mois d’août de l’année 1926, la guitariste américaine et collectionneuse de musique pour de musique pour guitare Vahdah Olcott-Bickford a écrit une lettre qui a été publiée dans le magazine allemand Der Gitarrefreund et qui décrit ce que contenait sa collection de musique.

Entre autres choses, elle dit :  « J’ai aussi en ma possession les manuscrits de plusieurs autres quatuors par de Fossa. Ils m’avaient été donnés en cadeau par un célèbre flûtiste, alors que je vivais encore à New-York. »

Ces manuscrits sont les partitions autographes des trois trios de l’opus 18 et les trois quatuors de l’opus 19.

Ils appartiennent maintenant à la collection de Vahdah Olcott-Bickford et sont conservés dans la bibliothèque Oviatt à l’université d’État de la Californie de Northridge. Le célèbre flûtiste qui lui en a fait don s’appelait Dayton Clarence Miller, un physicien américain, astronome, acousticien et musicien amateur de grand talent. Nous ne savons pas comment il a obtenu ces manuscrits. Le chemin habituel que prennent de telles antiquités pour changer de mains se fait souvent par les antiquaires spécialisés. Autant que je sache, ces manuscrits n’ont jamais été mis en vente par aucun des antiquaires de renom connu en Europe ou aux États-Unis, ce qui me laisse croire que M. Miller a dû les obtenir d'une personne privée inconnue dans son pays, une personne qui a connu Laurent de Fossa et qui avait des relations financières avec lui. D'une façon ou d'une autre, il pourrait avoir obtenu ces manuscrits en échange de biens ou de services.

Ceci, bien sûr, est une spéculation de ma part pour laquelle je n'ai aucune preuve. Cependant, considérant la présence de Laurent de Fossa aux États-Unis à la fin du 19e siècle et l’apparition de ces manuscrits dans les mains d’un citoyen américain quelques années plus tard, je pense que Laurent, tout en préservant diligemment la collection de documents de son père, n’a peut-être pas voué la même vénération aux manuscrits de musique de la collection et ne voyait rien de mal à s’en servir pour faire fructifier ses gains, selon ses besoins. Par chance, grâce à un concours de circonstances heureux, les manuscrits de l’opus 18 et 19 ont survécu et sont maintenant accessibles à tous.

Lorsque je l’ai rencontrée en 1980, Madame Odette de Fossa d’Ornano m’a dit en passant, au cours de notre entretien, que son père avait fait de regrettables transactions avec certains documents avec un certain revendeur dont elle ne se souvenait plus du nom.

Son père, qui s’appelait lui aussi François de Fossa, était né à Paris en 1861. Il était le fils de Laurent de Fossa et d’Anna Santerre de Bôves. Il est important de noter que, pendant que Laurent s’enlisait dans des affaires scabreuses qui l’amenaient à se déplacer loin de la maison et ce, pour de longues périodes, son fils François occupait déjà un poste d’officier dans le 17e régiment d’artillerie. Il s’était de plus taillé une réputation d’écrivain prolifique pour tout ce qui se rattachait au militaire.

Ses deux livres prodigieux sur l’histoire du Château de Vincennes publiés en 1908, sont des chefs-d’œuvre d’analyse de l’histoire, se concentrant principalement sur les aspects architecturaux de celui-ci. L’architecture a certainement dû être l’une de ses grandes passions, car la majorité de ses aquarelles encore disponibles aujourd’hui, représentent des bâtiments importants.

Il prit sa retraite du service militaire en 1924 alors qu’il occupait le rang de Lieutenant-Colonel. Il est fort probable que c’est lui qui possédait la collection de documents et de manuscrits de son grand-père.

Cette carte, qui représente les allers-retours de notre compositeur au Mexique, s’appuie indubitablement sur des informations glanées dans des lettres que de Fossa écrivit à sa sœur et dans ses documents militaires. Selon toute probabilité, cette carte a été tracée par quelqu’un qui avait un talent certain pour le dessin, c’est-à-dire, François, le petit-fils du compositeur. En d’autres termes, non seulement il avait la mainmise sur la collection, mais il s’était intimement familiarisé avec son contenu.

Le 2 décembre 1921, bien avant que François ne prenne sa retraite du service militaire, Leo Liepmannssohn, fameux antiquaire de la ville de Berlin, offrait ce catalogue à la  vente.

Voici ce qu’il dit :

2) Édition de la méthode d’Aguado avec changements proposés de la main du Major Fossa de Toulon qui est, lui aussi, un guitariste virtuose. […] La correspondance comprend 15 lettres écrites en espagnol et de la main d’Aguado (toutes signées par lui) et les brouillons des 11 réponses de de Fossa.

Le fait que soient incluses dans ce lot des copies des lettres écrites par de Fossa à Aguado, indique clairement qu’il provenait de la collection de documents qui, à ce moment de l’histoire, appartenait à François de Fossa, le petit-fils du compositeur. La collection avait été vendue en janvier 1922 à Erwin Schwartz-Reiflingen qui en avait promptement fait l’annonce dans son propre magazine de guitare intitulé Die Gitarre.

La maison de Schwartz-Reiflingen fut complètement détruite par des bombardements alliés durant la deuxième guerre mondiale et la collection est probablement perdue. 

Peut-être s’agit-il là de la malencontreuse transaction, ou de l’une d’entre elles, dont parlait Madame de Fossa d’Ornano lors de notre rencontre en 1980.

Tout ce qu’il nous reste à faire à présent, est d’essayer de découvrir où se trouve le reste des manuscrits de musique que de Fossa avait en sa possession au moment de sa mort. Permettez- moi de vous suggérer une voie possible vers ce paradis insoupçonnable. François de Fossa, le petit fils de notre compositeur, est mort en 1936.

Il est enterré dans le même caveau de famille que la famille de Santerres de Boves, avec sa mère. Nous n’avons aucun moyen, et ce n’est absolument pas notre affaire, de savoir pourquoi il est enterré dans ce caveau, et non dans celui de la famille de Fossa au cimetière du Montparnasse à Paris, où est enterré son père Laurent. Toutefois, cette situation suggère que dans les dernières années de sa vie, il avait un fort attachement à la famille de sa mère, en particulier lorsque ses parents du côté paternel n’étaient plus en vie.

Maintenant, et cela peut vous paraître une idée saugrenue… Mais je ne serais pas surpris que si vous trouviez des descendants de la famille de Santerre de Boves, vous pourriez aussi trouver les manuscrits de la musique de François de Fossa.

En conclusion, permettez-moi de décrire ce que nous savons à propos de la musique de F.de Fossa. Nous n’avons vraiment aucune idée de sa prolixité de compositeur. Il peut avoir composé beaucoup plus de musique que ce qui nous est parvenu. Mais nous savons que qu’il a publié 21 opus de musique. Nous avons la plupart de ces publications, mais il nous manque encore les numéros d'opus 2, 3, 4, 7 et 20. Nous connaissons aussi plusieurs œuvres de lui sans numéros d’opus, mais nous ne savons pas si nous en possédons l’intégralité. Voici un exemple séduisant :

Cet exemple vient de la deuxième édition espagnole de la Escuela d’Aguado, publié à Paris en 1826. Comme je le disais dans un autre contexte, il est possible de montrer que toute la partie théorique dans cet ouvrage a été écrite par François de Fossa. Là, il est question de la troisième variation d’un deuxième duo pour guitares par de Fossa. En d'autres termes, non un arrangement que quelqu'un aurait pu faire, mais une composition originale. On nous dit aussi qu'il y avait un premier duo et peut-être nous pouvons imaginer qu'il y en avait aussi un troisième. À mon âge, je ne suis pas capable de prendre une part active à la chasse de cette musique. Donc, tout ce que je peux faire maintenant est souhaiter que vous, les jeunes chercheurs, trouverez cette musique et ainsi, vous pourrez enrichir le patrimoine de ce fils prodigieux de Perpignan.

Merci de votre attention.

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À la recherche de François de Fossa

© Copyright 2005 by Matanya Ophee.

Ce dont je vais vous parler, ce n’est pas une discussion musicologique, mais une histoire de détective. Le sujet n’est pas comment j’ai découvert François de Fossa, mais plutôt comment lui, compositeur/guitariste, vivant au début du XIXème siècle, m’a trouvé en dépit des barrières du temps.

Il y a trente ans environ, j’habitais à Concord, New Hampshire. Parmi mes loisirs habituels de cette époque je jouais de la guitare dans un petit ensemble de musique de chambre. A ce moment-là, il n’y avait guère de musique pour guitare et autres instruments, et très rapidement nous avons fait le tour du répertoire existant, les quintettes de Boccherini, le quatuor de Schubert, le trio de Kreutzer, les œuvres de Paganini et d’autres pièces du même genre. Il était temps d’en rechercher d’autres.

En fouillant dans une librairie je trouvais le Catalogue Thématique de l’œuvre de Boccherini par Yves Gérard. Et dans cet ouvrage je trouvais une information au sujet de la symphonie en Ut majeur de Boccherini qui incluait une partie de guitare dans l’orchestration. Cela paraissait intéressant , alors j’écrivis à la « Bibliothèque de l’Opéra » à Paris, où était gardé le manuscrit autographe. Ils m’envoyèrent un microfilm de la partition intégrale. A cette époque de ma vie, je n’étais pas musicologue, mais juste un musicien exécutant, gagnant sa vie comme pilote de ligne. Je n’avais réellement aucune idée de quoi faire avec un microfilm, jusqu’à ce qu’un de mes amis musicien me suggéra d’aller à la bibliothèque publique locale où il devait y avoir des machines pour lire les microfilms. La visite à la bibliothèque fut un échec. Ils n’avaient aucun lecteur de microfilms, car après tout, c’était une toute petite ville où il n’y avait aucune demande pour ces sortes de machines, mais ils me suggéraient d’aller à la State Library (bibliothèque d’État) du New Hampshire, où ils auraient certainement ce dont j’avais besoin. La ville de Concord est la capitale du New Hampshire, et la State Library est le dépositaire officiel de tous les documents légaux et politiques, les différents journaux locaux, le recensement cadastral et divers autres documents très éloignés de la musique.

En m’approchant de la bibliothécaire référente de la State Library, prêt à l’interroger au sujet des lecteurs de microfilms, je remarquai derrière elle une petite armoire pour des fiches de catalogue avec un écriteau qui disait : Musique

C’était étrange pour un archivage de documents légaux de la région, alors je demandai à la bibliothécaire si elle savait quelque chose au sujet de cette armoire avec musique. Elle se retourna, la regarda avec une surprise absolue, et me dit :

– je ne l’avais jamais vue auparavant.
– Vous voulez dire qu’elle a été installée derrière vous il y a quelques minutes ? demandais-je
– Non —répondit-elle— Je suis assise à ce bureau depuis 27 ans, et elle a toujours été là, mais je n’avais jamais remarqué que l’écriteau disait MUSIQUE.

Alors, avec son autorisation, j’ai commencé à lire les fiches. C’était apparemment une très grande collection de musique qu’un bon citoyen avait léguée à la State Library une génération ou deux précédemment, et personne n’y avait porté attention. J’ai immédiatement trouvé une collection de musique pour guitare. Une partie était la musique de compositeurs que je connaissais bien, avec des pièces que j’ai jouées toute ma vie, mais quelques-unes étaient entièrement nouvelles pour moi. Une de celles qui a attiré immédiatement mon attention était une composition pour guitare, variations sur les Folies d’Espagne par un certain François de Fossa, dont je n’avais jamais entendu parler avant. J’ai obtenu des copies de la musique et les emportai chez moi pour les jouer.

Il existe de nombreuses variations sur le thème des Folies d’Espagne, mais celui-ci fit instantanément monter ma tension. La seconde variation était une pièce que j’avais connue toute ma vie comme une Étude originale de Campanelas de Francisco Tárrega.

Ah ! me disais-je, c’est clairement un cas de plagiat. Comment ce Français a-t-il volé une œuvre musicale du grand Francisco Tárrega ? Ou était-ce le contraire ?

Je savais que Francisco Tárrega était né en 1852 et décédé en 1909. La première étape était de trouver quand ce de Fossa était en vie. Les dictionnaires et encyclopédies habituels n’étaient d’aucun secours. Les dictionnaires généraux n’en faisaient pas du tout mention, et ceux qui étaient consacrés à la guitare le mentionnaient simplement comme un guitariste amateur du début du XIXème siècle. Tout en cherchant cette information, je commençais à rechercher plus de musique de Fossa et, en peu de temps je compilai une collection considérable de pièces de diverses bibliothèques. En examinant ces ressources très riches , j’ai rapidement réalisé que ce compositeur inconnu était en fait un acteur majeur de son époque, un acteur qu’il fallait faire revivre et mettre en lumière.

Le goût de de Fossa dans la composition musicale, à en juger par les œuvres que l’on connait, se tournait directement vers la musique de chambre avec d’autres guitares et avec les instruments à cordes et le piano. Ses compositions originales montrent un solide niveau de sophistication musicale. Ce n’était pas une simple répétition de formules, mais une tentative de créer une musique originale en phase avec son époque.

Les compositions de de Fossa montrent une richesse exceptionnelle de matériel mélodique et de drôles de surprises y sont dispersées. Des rythmes syncopés souvent liés à des pédales dissonantes, des dynamiques inattendues, des tours de passe-passe harmoniques, des modulations inhabituelles et fréquentes dans une riche texture du type de dialogue, tout ceci contribue à créer une musique vibrante et intense.

Le compositeur connaissait bien la guitare ; l’écriture est idiomatique techniquement et exploite une large variété de ressources instrumentales. Assurément, son travail montre un goût certain dans le traitement des schémas classiques et un haut niveau de technique compositionnelle.

Une de ces compositions de de Fossa que je trouvai alors était ses variations sur La Tirolienne , Op. 1.

Sur la page de titre de cet ouvrage, le compositeur est ainsi décrit :

En parlant de mes préoccupations avec un ami, celui-ci m’apprit qu’il y avait une œuvre du guitariste espagnol Dionisio Aguado, les Trois Rondeaux Brillants op 2 , qui étaient dédicacé à « Mon ami François de Fossa »

Une description identique de ses liens avec l’armée comme sur la page de titre des Follies d’Espagne. Ainsi, si de Fossa et Aguado étaient amis, ils étaient manifestement de la même génération. Je savais qu’Aguado était décédé en 1849, ce qui signifie sans équivoque que la petite étude de Campanella n’a pas été empruntée à Tárrega par de Fossa, mais exactement l’inverse. Alors, qui était cet homme ?

Pour trouver la réponse à cette question, je partis pour Washington et j’y passais cinq mois à travailler dans la Library of Congress, en examinant plus de 5000 livres sur l’histoire de l’Armée Française dans cette énorme bibliothèque. J’ai même trouvé une histoire du 23ème régiment de ligne, mais la seule pièce d’information pertinente que je pus glaner était qu’en 1823 le régiment était commandé par le

Comte de Montboissieur, un nom que je connaissais car les trois quatuors op 19 de de Fossa lui étaient dédiés. Mais pas un mot sur de Fossa lui-même.

J’étais sur le point d’abandonner et de rentrer chez moi, lorsque tout à coup, j’ai réalisé que j’étais en train de regarder dans la mauvaise direction. Oui, mon homme était officier militaire, mais avec le préfixe « de » accolé à son nom, il pouvait aussi appartenir à une famille de la noblesse. Alors je cherchai dans plusieurs dictionnaires de la noblesse française , et assez rapidement, j’ai trouvé un livre intitulé Dictionnaire des Familles Françaises, où j’ai trouvé la liste de deux différentes familles portant le nom de de Fossa. L’une descendait des Huguenots et était basée à Poitiers, et l’autre était à Perpignan. Le chef de cette famille était un professeur de droit à l’Université de Perpignan nommé François de Fossa décédé en 1789. Quelques années avant sa mort, il fut anobli par Louis XVI. Naturellement, cet homme ne pouvait pas être celui à auquel Aguado avait dédicacé sa musique.

Alors j’avais le choix. Je pouvais me diriger au Nord à Poitiers ou au Sud à Perpignan. Mais peut-être parce que je suis guitariste, je savais que la plupart des choses de valeur dans l’histoire de la guitare et dans son répertoire étaient créées par des guitaristes Catalans, de Fernando Sor à Miguel LLobet et Emilio Pujol. J’ai décidé d’essayer d’abord Perpignan.

Ma première étape était le 12ème étage de la bibliothèque du Congrès, où ils gardent les coordonnées téléphoniques de toutes les villes du monde. Nous sommes encore en 1979, et Internet n’existe pas encore. Je trouvai l’adresse des Archives Départementales des Pyrénées Orientales à Perpignan et je leur adressai une lettre.

Je leur demandais ceci : voici ce que je sais : un militaire qui est aussi musicien, et un professeur de droit à l’université, tous deux nommés François de Fossa. Que pouvez-vous me dire à leur sujet, et ont-ils une quelconque relation de famille ?

Sous quinze jours je reçus de leur part un gros paquet avec l’inventaire complet du Fond de Fossa de leurs archives, et la réponse que ces deux personnes avaient vraiment des liens. C’étaient le père et le fils.

J’étais à Perpignan en 48 heures.

Je passai un semaine passionnante à travailler aux archives, construisant pas à pas une image complète de la biographie de cet homme étonnant. Rien qu’en lisant les 300 lettres qu’il écrivit à sa sœur Thérèse Campagne pendant 27 ans, à partir de son exil en Espagne et à Mexico, j’ai pu appréhender profondément le caractère et la personnalité de ce gentleman.

François de Fossa est né à Perpignan le 31 Août 1775. Son père, nommé aussi François de Fossa, était l’un des historiens les plus importants du Roussillon. Il était un juriste distingué, à la tête de la faculté de droit de Perpignan et un écrivain prolifique.

On ne connaît pas grand-chose de l’éducation du jeune François. Mais absorbé par l’érudition et l’apprentissage qui imprégnaient la maison où il a grandi, on ne peut qu’en déduire qu’il a été exposé à la culture musicale dès sa jeunesse.

Après la déflagration de la Révolution française, de Fossa émigra rapidement en Espagne où il rejoignit l’armée espagnole comme Volontaire dans une compagnie d’Officiers de l’Armée Française et Gentilhommes de la Noblesse, appelée Légion des Pyrénées . Il y servit depuis la création du bataillon en 1793 et participa à bon nombre de ses campagnes. En 1796 il fut appelé par Miguel d’Azanza, à ce moment ministre espagnol de la guerre , pour servir directement sous ses ordres. En 1798 D’Azanza fut nommé Vice-Roi de Mexico par Carlos IV et il emmena de Fossa avec lui. Après avoir passé quelque temps dans les villes de Mexico et Puebla, de Fossa rejoignit la compagnie d’infanterie à Acapulco comme « Cadet Gentilhomme ». En 1800 il fut promu au grade de second Lieutenant. Il rentra en Espagne sur ordre du Roi en 1803. Après plusieurs nominations et promotions militaires, il fut assigné au Ministère des Indes comme Chef de Bureau. Finalement, il rejoignit son régiment avec le grade de Capitaine. Lors de la Bataille de Grenade, le 29 janvier 1810, il fut prisonnier des Français, emmené à Madrid où il fut libéré sur parole par Joseph Bonaparte et assigné par celui-ci à son ancien poste du Ministère des Indes. À la chute de Bonaparte en 1813, il s’enfuit en France avec l’armée française qu’il rejoignit en tant que Capitaine. De Fossa retourna en Espagne, cette fois-ci du côté français en prenant part à la campagne du Duc d’Angoulême en Catalogne en 1823. A la fin de cette campagne, il fut promu au rang de Chef de Bataillon, et en 1825 devint Chevalier de la Légion d’Honneur. Plus tard, il a participé à la guerre contre l’Algérie. Il se retira du service militaire en 1844. François de Fossa est décédé à Paris le 3 Juin 1849.

Il semble que de Fossa a déjà commencé à composer pour la guitare en 1808. Dans une lettre écrite de Madrid cette même année à sa sœur à Perpignan il raconte ses tentatives pour relever son maigre salaire gouvernemental en composant de la musique pour guitare. Il raconte aussi que certains de ses quatuors ont été joués en public et qu’il était surnommé le Haydn de la guitare par ses admirateurs.

Mais en 1808 Madrid n’était pas le meilleur endroit pour mener une carrière musicale et il réalisa rapidement qu’il devait chercher fortune à travers d’autres professions. De Fossa n’a jamais réellement fait de la musique sa carrière à plein temps. Cela ne l’a pas empêché de composer, et avec le temps, de publier en France et en Allemagne un nombre considérable d’oeuvres musicales.

En parlant avec l’archiviste de Perpignan, je lui demandai où il avait eu tout ce matériel. Il l’avait reçu 20ans auparavant d’une vielle dame à Marseille qui était une descendante directe de la famille. Il avait conservé son adresse et son numéro de téléphone, mais il n’était pas sûr que cette dame soit toujours en vie.

J’appelais.
– « Madame de Fossa ?
– Oui. »

Cette réponse me donna la chair de poule, et pendant quelques secondes je restais sans voix. C’était, pour moi, comme si j’appelais Madame Mozart et que j’obtenais la même réponse. Je finis par me reprendre et j’expliquais à cette dame que j’étais un musicologue américain étudiant l’histoire du compositeur François de Fossa, qui avait dû être son grand-père, et je serais enchanté d’avoir la chance de la rencontrer et de lui poser quelques questions. Elle me répondit immédiatement que j’étais en train de perdre mon temps, quand à elle, car il n’y avait jamais eu de musicien dans la famille, mais seulement des militaires. Mais j’insistait et lui demandait de bien vouloir m’accorder enfin cinq minutes. Elle accepta finalement mais en me prévenant que le lendemain elle était très occupée , car elle avait un sérieux problème de plomberie dans sa salle-de bains, et que le propriétaire refusait de le réparer, et que son fils allait venir et régler l’affaire avec le propriétaire récalcitrant.

Je ne savais pas trop dans quel genre d’ennuis je m’embarquais. J’étais très inquiet à ce sujet, mais en tant qu’ historien , la chance de rencontrer un descendant direct d’un compositeur du début du XIXème siècle, était si puissante et stimulante, que je jetais ma prudence aux orties et pris le train pour Marseille.

Le jour suivant, à 10 heures pile, je me présentai et sonnai à sa porte. La porte s’ouvrit, et quelque chose d’incroyable arriva. L’instant d’avant j’étais dans le bruit et l’agitation du Marseille moderne du XXème siècle, et dès que j’avais franchi la porte, j’étais transporté au XIXème siècle, comme dans une machine à remonter le temps. Et j’ai immédiatement réalisé comme j’avais eu tort en l’imaginant la veille.

Odette de Fossa d’Ornano était une vieille dame de 96 ans à ce moment-là, une petite femme mais avec un regard clair et vif, l’image même de la noblesse.

Elle me permit aimablement d’examiner la multitude de dessins et de portraits suspendus aux murs de l’appartement, tout en continuant à m’avertir que d’un moment à l’autre son fils allait arriver pour régler le problème avec le propriétaire. Il s’avérait que son fils était l’un des meilleurs avocats en France, connu sous le nom de Maître Roland d’Ornano.

Une des images sur le mur attira mon attention. C’était un petit camée ovale montrant un jeune homme en uniforme militaire.

Elle ne savait pas qui était cet homme, et ce pouvait être son père, lui aussi militaire. Je savais que ce n’était pas possible, car son père devait être militaire au début du vingtième siècle, et le peu que je savais des uniformes militaires suggérait qu’il s’agissait d’un officier d’une période bien antérieure.

Je lui demandais la permission de photographier le camée, ce qu’elle m’a autorisé à faire. Alors j’ai pris congé d’elle, pour ne pas m’imposer davantage.

En rentrant chez moi, j’ai développé la photo et commencé à l’étudier.

J’ai cherché dans des bibliothèques des informations sur l’uniforme militaire français, et il était évident que c’était celui d’un chef de bataillon.

J’ai alors identifié les trois médailles sur la poitrine de l’officier et elles correspondaient parfaitement aux médailles que François de Fossa avait reçues comme il était indiqué dans ses documents militaires qui faisaient aussi partie des archives de Perpignan, l’ordre de Saint Louis, l’Ordre de San Fernando et la légion d’honneur. Mais cela pouvait correspondre à n'importe qui, et pas forcément mon compositeur.

Par chance, il m’était possible de montrer cette photo à Vladimir Tarasiuk à New-York, personne qui toute sa vie était conservateur des uniforme militaires au Musée de L’Hermitage à Leningrad. Il regarda l‘image et dit :

C’est un chef de bataillon de l’armée française entre 1815 et 1825, qui appartenait au 23ème régiment de ligne.

Je savais que François de Fossa appartenait au 23ème régiment, mais comment, lui, Vladimir Tarasiuk, pouvait-il le savoir ? c’est très simple, dit-il. Le numéro du régiment est toujours inscrit sur les boutons de la tunique.

C’était la preuve définitive qu’il s’agissait du portrait d notre compositeur. Plusieurs années après, je rencontrai à Marseille Maître Roland d’Ornano, le fils d’Odette de Fossa, et il m’a aimablement donné le second portrait du compositeur, image qui est connue maintenant dans le monde entier, et je dois dire, le seul portrait en couleur du guitariste compositeur du début du XIXème siècle.

Soit-dit en passant, je ne suis jamais allé à Poitiers.

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Histoire Nicole Yrle Histoire Nicole Yrle

François de Fossa : Guitariste-compositeur par vocation, Militaire par nécessité...

La famille du guitariste-compositeur François de Fossa est représentative de la société roussillonnaise du XVIII-ème, avec une ascension sociale par le mérite, depuis l’ancêtre, cloutier à Saint- Laurent-de-Cerdans au XVII-ème siècle jusqu’à François Fossa père, professeur de droit, doyen et recteur de l’Université de Perpignan.

François de Fossa est parti en exil sous la Terreur, alors qu’il commençait son droit. En Espagne et au Mexique, il surmonte les épreuves avec une force de caractère peu commune et continue à apprendre en autodidacte le castillan et l’anglais,

le dessin et les mathématiques. Il poursuit le rêve de se consacrer à la musique, mais pour une question de survie, il entame une carrière militaire poursuivie en France à son retour.

Il sera influencé par la philosophie des Lumières : la bibliothèque de son père contenait des œuvres majeures, Azanza, son protecteur, en était imprégné.

Toute sa vie, François de Fossa, homme d’honneur fidèle à ses idéaux, déteste l’arbitraire et le clientélisme. Élevé dans un milieu monarchiste, il devient partisan d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise. Sans préjugés, il épouse la fille d’une protestante et d’un engagé volontaire dans l’armée révolutionnaire.

Décoré de la Légion d’Honneur, il verra sa fille entrer à l’École de la Légion d’Honneur et son fils cadet à Saint-Cyr.

Il fut « un très grand monsieur qui rejoint enfin le panthéon des très grands musiciens du monde. » (Jacques Queralt)

Sur les pas de François de Fossa

1775 : Naissance le 31 août à Perpignan de François de Paule Jacques Raymond, fils de François Fossa, jurisconsulte et doyen de l’Université, et Thérèse Beauregard. Louis XVI anoblira le père en 1786.

1793 : Les Bourbons d’Espagne envahissent le Roussillon. Révolté par l’exécution de Louis XVI, François s’engage à 17 ans dans l’armée des émigrés en lutte contre les forces révolutionnaires.

1795 : Après la signature du traité de Bâle entre les deux pays, il quitte l’armée mais choisit de rester en Espagne.

1797 : Il est à Cadix avec Miguel de Azanza, ministre de la Guerre du roi d’Espagne, futur vice-roi du Mexique, qu’il accompagnera comme page et secrétaire. En attendant le départ, il copie ou compose de la musique et joue pour son protecteur et les jeunes filles qu’il courtise.

1798 : Il arrive au Mexique sous le nom de Francisco Fosa afin de se faire passer pour un Espagnol.

1798-1803 : Il s’engage dans l’armée comme Cadet-Gentilhomme et devient sous-lieutenant à Acapulco.

1803-1808 : Revenu en Espagne, François connait le dénuement. Pour plaire à une andalouse, il démissionne de l’armée. Il vit d’une maigre pension militaire. Il joue de la guitare dans les salons, copie de la musique et compose un quatuor.

1808 : Azanza, au service de Ferdinand VII à Madrid, offre à François un second emploi de secrétaire. Quand Napoléon impose son frère Joseph comme roi d’Espagne, Azanza reste à son service. Peu après, Francisco Fosa rallie l’armée espagnole en lutte contre Napoléon.

1809 : Formateur au régiment de Jaén, il est blessé deux fois.

1810 : Prisonnier des Français à Grenade en janvier, il risque d’être fusillé. Azanza le sauve de justesse, il devient son chef de bureau au Ministère des Indes.

1813 : Il rentre en France avec les vaincus de l’armée napoléonienne, le roi Joseph et Azanza. Redevenu François de Fossa mais refugié sans ressources, il est semblable à un émigré espagnol. Une chute de cheval le handicape puis il rejoint Azanza et l’accompagne à Paris.

1814 : François vit avec Azanza et reçoit une petite aide financière des pouvoirs publics. Il cherche en vain à entrer dans l’armée.

1815 : Au début des Cent Jours, François s’enrôle dans les Volontaires Royaux de Vincennes. Ce court engagement lui permettra après la Seconde Restauration de faire valoir sa fidélité aux Bourbons. Décoré de l’Ordre de Saint Louis, il est nommé capitaine dans l’armée royale.

1816 : Après une première affectation à Moulins, François mène une vie itinérante de garnison en garnison.

1819-1820 : François de Fossa commence à rédiger un Essai de Théorie Musicale jamais achevé.

1822 : À Strasbourg, il est Rapporteur du Tribunal Militaire, lors d’une affaire qui fit grand bruit.

1823 : Son activité musicale est intense. Il publie en France et en Allemagne, fréquente des compositeurs.

1823-25 : Il participe à l’expédition des Cent mille Fils de Saint-Louis, destinée à rétablir sur le trône d’Espagne Ferdinand VII. Il commande une place-forte en Catalogne puis est promu Chef de bataillon et envoyé à Madrid jusqu’en janvier 1825, avant de rentrer en France. En 1824, il a reçu du roi d’Espagne la Croix de l’Ordre de Saint-Ferdinand.

1825 : À 50 ans, François de Fossa épouse à Strasbourg Sophie Vautrin, ils auront trois enfants.

1826 : François de Fossa fait publier la Méthode pour guitare de l’Espagnol Dionisio Aguado, qu’il a lui-même traduite, l’enrichissant de notions capitales.

1837-1839 : À Salon-de-Provence, il fait face à des troubles graves lors d’une altercation entre la population et des soldats de son régiment.

1839 : Chevalier de la Légion d’Honneur depuis 1825, il est nommé Officier.

1844 : Il prend sa retraite à Paris et s’installe 23 rue Copeau.

1849 : François de Fossa meurt chez lui le 3 juin à 73 ans.

1775-1813 Un jeune homme représentatif de toutes les époques

Né le 31 août 1775 dans une famille bourgeoise de Perpignan, fils d’un éminent juriste, François est, dès l’enfance, promis à une carrière juridique. Très jeune, il perd sa mère et son père. Sa sœur ainée Thérèse devient sa confidente.

Élève brillant au Collège Royal, il entame des études de droit à l’Université. Mais pris dans ce qu’il nomme « l’orage révolutionnaire », il quitte à 17 ans sa ville natale et sa sœur, restée dans la maison familiale, rue Fontaine Na Pincarda.

C’est la Terreur, Louis XVI a été guillotiné en janvier, les Bourbon d’Espagne envahissent le Roussillon. François risque sous peu d’être concerné par la levée de troupes, il choisit de rallier l’armée contre-révolutionnaire des émigrés comme Volontaire distingué, dans la Légion Pannetier qu’il suit dans les neiges des Albères, puis s’embarque pour l’Espagne à Port-Vendres.

Commence un exil qui s’achèvera en 1813. Il apprend beaucoup et ses aventures sont nombreuses. En 30 ans il envoie à sa sœur 572 lettres, écrites dans un style châtié : elles nous révèlent ses épreuves, ses espoirs, au cœur d’évènements historiques, souvent tragiques, auxquels il est mêlé de près, car il vit des conflits majeurs comme la guerre d’indépendance des Espagnols. Son caractère impulsif, voire exalté, transparaît entre les lignes. Il voudrait tant se consacrer à la musique.

En proie à une « noire mélancolie », l’expression est de lui, il rêve d’aventures, de richesse et d’amour : ce sont les aspirations de jeunes d’hier et d’aujourd’hui.

Quand la paix intervient en 1795, il reste en Espagne. Un ami le présente au remarquable homme d’état Miguel de Azanza qui deviendra un second père pour lui.

L’aventure mexicaine

Fin 1796, Fossa suit à Cadix son protecteur nommé vice-roi du Mexique. Il s’appelle désormais Francisco Fosa, car afin de pouvoir partir pour le Nouveau Monde, il se fait passer pour Espagnol, le roi ayant interdit d’emmener des étrangers. Il parle et écrit parfaitement le français, le castillan et le catalan.

Dans la rade bloquée par les Anglais, une longue attente commence. Pauvre mais jeune et beau, il plaît aux jeunes filles. Dans les salons, tel celui d’Azanza, il joue de la guitare avec succès.

Le voyage en mer dure 39 jours : au Mexique où il arrive en mai le voici page et secrétaire :« Un page d’un vice-roi fait ici une assez jolie figure ; tout le monde lui fait bon accueil, chacun s’empresse à lui faire la cour ; avec un uniforme bleu de ciel à collet et parements jaunes galonnés en argent et une veste de même, la brette au côté et le chapeau sur l’oreille, il faut bien qu’on ait l’air de quelque chose. », écrit-il à sa sœur.

Il en avait rêvé du Mexique. Hélas, il déchante. Pour lui, le pays n’a pas évolué depuis la conquête il y a 200 ans; il parle de ce « chien de pays », où il est « aussi difficile de trouver une femme réellement aimable que d’arracher la lune avec les dents ». Celles qui le séduiront finalement seront des blanches venues d’Espagne ou descendantes d’émigrés espagnols !

Et surtout son statut de page-secrétaire qui s’éternise et sa maigre indemnité ne lui conviennent pas.

Seule solution : l’armée. Cadet dans la compagnie d’Acapulco, il est nommé sous-lieutenant et encadre la surveillance du port, bloqué par la flotte anglaise. En honnête homme épris de justice, il intervient auprès du gouverneur pour défendre un soldat accusé de désertion et un tambour condamné à tort aux arrêts. Les soldats l’apprécient, les officiers le respectent, mais il n’est pas heureux, il aspire de plus en plus au retour.

Les rêves déçus de François de Fossa sont ceux d’un jeune homme de tous les temps qui s’est fait des illusions.

Retour en Espagne, sa seconde patrie...

François de Fossa rentre en Espagne en 1803, malade et pauvre. Sans emploi, il vit d’une petite pension militaire. Il ne mange pas toujours à sa faim et évite de sortir pour économiser ses bottes aux semelles trouées. De plus, pour plaire à une femme, il a démissionné de l’armée et ne parvient pas à la réintégrer après avoir rompu avec la belle. Retourner en France ? Sa fierté l’en empêche car il pense qu’il serait à la charge de Thérèse, désormais mariée.

S’ajoute un amour profond pour l’Espagne, « sa seconde patrie ». Pourtant son statut personnel devient un handicap très lourd : « Il suffit d’être Français et surtout émigré pour trouver toutes les portes fermées. » Cinq ans passent, la chance lui sourit enfin : Ferdinand VII monte sur le trône, et appelle à son service Azanza qui lui propose de reprendre son emploi de secrétaire à Madrid.

Quand Napoléon impose son frère Joseph comme roi d’Espagne, Azanza décide de rester au service du peuple espagnol, malgré le changement de dynastie et parce que les souverains légitimes Charles et Ferdinand l’ont eux-mêmes accepté.

Pendant l’été, Fossa, qui a connu les sanglantes journées de mai, immortalisées par le peintre Goya, part rejoindre « la première armée espagnole rencontrée » en lutte contre l’armée impériale, celle de La Cuesta, aux défaites cuisantes, puis celle du général Castaños. Adjudant-major au régiment de Jaén, il est blessé deux fois en 1809.

Mélancolique et malchanceux

François de Fossa se trouve souvent au mauvais endroit au mauvais moment. Il en devient touchant. À Mexico en 1800 quand la terre tremble, il est à Cadix en 1805 lors de la défaite franco-espagnole de Trafalgar, à quelques encablures de là.

À Grenade en 1810, fait prisonnier sous l’uniforme espagnol par les Français, à deux doigts d’être fusillé, il est sauvé de justesse par Azanza. Il entre alors au service du roi Joseph, au Ministère des Indes que dirige son protecteur.

François est un romantique avant la lettre, en proie à cette « mélancolie » qui marquera toute une génération. On pense à Chateaubriand, à cause de leurs emportements analogues et de l’amour fraternel que tous deux ont éprouvé pour une sœur. François de Fossa le tourmenté est représentatif du courant intellectuel et artistique de son temps.

Au fil des années, il a été influencé par la philosophie des Lumières, celle de Rousseau qu’il a lu, d’Azanza, grande figure de la Franc-Maçonnerie. Dans la bibliothèque de son père figuraient des ouvrages de Fontenelle, Diderot, Voltaire...

Après 1813, la maturité

François de Fossa rentre tristement en France en juin 1813, avec les troupes napoléoniennes défaites, le roi Joseph et son entourage. Cruel paradoxe, il devient un réfugié sans ressources dans son pays natal, tel un émigré espagnol. Une chute de cheval lui vaut une fracture du bras droit qui le laisse en partie handicapé. À force de ténacité, il se rééduque lui-même. L’idée de ne plus pouvoir jouer de la guitare ne pouvait être qu’insupportable.

À 37 ans, il aspire à une stabilité perdue depuis longtemps.

Fataliste, il en appelle aux Écritures et privilégie la sagesse : « Toute ma philosophie consiste à me garantir de toutes les fortes passions. »

Sans perspectives d’avenir en France, son vœu le plus cher est de retourner en Espagne avec Azanza : « Je suis devenu Espagnol de toute la force du terme et je mourrai Espagnol si on m’en laisse le choix. » En 1814 le rétablissement sur le trône d’Espagne de Ferdinand VII fait naître une lueur d’espoir, vite éteinte car le roi bannit sous peine de mort tous ceux qui ont servi Joseph.

Arrive la Restauration : François de Fossa songe à partir pour l’Angleterre, un pays qu’il admire et dont il a appris la langue, mais ses démarches n’aboutissent pas. Devenu partisan d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise, il s’écarte nettement des positions familiales et loue la charte de Louis XVIII, « marquée au coin de la sagesse, à la hauteur des lumières de notre siècle ». Il a toujours manifesté son horreur de l’arbitraire, des courtisans et du clientélisme. Il n’hésite pas à écrire : « ...quant aux droits prétendus d’une famille plutôt que d’une autre à un trône quelconque, je n’en reconnais point. Aucune nation ne peut être l’apanage ni le patrimoine d’une famille. C’est en vertu d’un pacte social que tous les monarques ont commencé de régner. »

Au contact direct de plusieurs régimes politiques en Espagne et en France, il a acquis de l’expérience et remet en cause ce qui lui a été inculqué dans sa jeunesse.

Une fois encore, François de Fossa ne voit pas d’autre alternative que l’armée pour un avenir stabilisé. Plusieurs tentatives échouent. Mais au moment du débarquement de Napoléon en mars 1815, il s’enrôle dans les Volontaires Royaux de Vincennes, prêts à se battre pour le roi en fuite. Son bref engagement lui permet, au début de la Seconde Restauration, de faire valoir sa fidélité aux Bourbon, y compris avant les Cent Jours. Il met en avant ses services, en France en 1793 puis en Espagne sous deux rois.

Certes, il préfèrerait se consacrer à la musique, mais ses choix, a-t-il écrit, lui ont toujours été dictés par la raison, son sens du devoir et de l’honneur.

Fin 1815, décoré de l’Ordre royal et militaire de Saint Louis, il est nommé capitaine. Il restera militaire de carrière jusqu’à la fin de ses jours. Sur son portrait on voit cette décoration, celle qu’il recevra plus tard en Espagne et sa Légion d’Honneur.

1816-1822, vie de garnison et musique

Après sa première garnison à Moulins, François de Fossa fait le tour de la France de 1816 à 1822. À Bordeaux, il a peut-être rencontré Pierre Galin, auteur d’une Nouvelle méthode pour l’enseignement de la musique, qu’il juge remarquable, il en recommande l’usage pour sa nièce. Lui-même a des projets pédagogiques en tête.

À Lyon où il reste un an et demi, il entend parler de Benoîte Delaforest, professeur de chant qui utilise avec succès cette méthode. Elle est la seule dans toute la ville, les autres n’y comprennent rien ! Il lui dédie Quatre divertissements.

Les années 1815 et suivantes sont complexes, les troubles en tout genre ne manquent pas. Notre musicien-militaire, confronté à des difficultés majeures, se trouve à nouveau au cœur de l’événement, par exemple en 1822 à Strasbourg où il est rapporteur au Conseil de guerre.

Manipulé par un général, il obtient la condamnation à mort d’un homme, réhabilité plus tard. On imagine ce qu’il éprouve en découvrant qu’on l’a empêché de bâtir une accusation objective. Période sombre car, au même moment, sa sœur est mourante. François retourne à Perpignan juste après cet épisode tragique, et perd sa sœur adorée en janvier 1823.

Retour en Espagne avec les « cent mille fils de Saint Louis »

En février, Fossa prend part à l’expédition des Cent mille fils de Saint Louis, destinée à rétablir sur le trône d’Espagne Ferdinand VII, roi médiocre auquel il reproche ses parjures et ses mesures iniques, dont le rétablissement de l’Inquisition. Il obéit aux ordres, déchiré́ d’avance par les nouvelles souffrances que va subir l’Espagne. Il est encore emporté dans les remous de l’Histoire, sans l’avoir vraiment voulu.

D’abord commandant d’une place-forte en Catalogne, il est envoyé à Madrid comme chef de bataillon. C’est là qu’il rencontre le grand guitariste D. Aguado qui, à Paris, deviendra un ami intime. Il rentre d’Espagne début 1825 et permutera ses fonctions avec celles de major, grade qui sera toujours le sien à sa retraite.

Les joies de la famille

Thérèse a été pour François plus qu’une sœur : il lui a comparé toutes les femmes rencontrées. Dans sa jeunesse, il a multiplié les conquêtes amoureuses. Plusieurs projets de mariage se sont ébauchés, aucun n’a abouti. Juanita, connue avant son départ au Mexique, comptera pour lui mais au terme d’une relation tumultueuse de huit ans, il rompt définitivement.

Est-ce un hasard si F. de Fossa ne s’est marié qu’en 1825, trois ans après la mort de Thérèse ? À Strasbourg, il épouse Sophie Vautrin, âgée de 27 ans. C’est une guitariste accomplie, car François de Fossa lui dédie deux œuvres avant leur mariage et Aguado aussi lui dédie des pièces techniquement complexes. Cette union avec une protestante surprend car les de Fossa étaient de fervents catholiques. En 1827 il écrit à son neveu « n’avoir jamais goûté une telle somme de bonheur, ayant uni son sort à une femme qui partage tous ses goûts, toutes ses idées, au point d’être duo in carne una (deux dans une seule chair). »

Cette épouse aimante le suit de garnison en garnison, ce qui est rare.

Il est piquant de constater qu’un descendant de monarchiste a épousé la fille d’un marchand de chandelles, engagé dans l’armée révolutionnaire! Sans préjugés, F. de Fossa est à même d’apprécier les qualités d’une jeune fille dont il fait sa femme et la mère de ses enfants, nés entre 1826 et 1832.

1830, des années difficiles

Si François de Fossa connaît de vrais moments de bonheur, il est néanmoins confronté à des situations délicates, en particulier dans les années 1830 :

–À Gap, où il commande la garnison, éclatent des troubles liés aux Trois Glorieuses à Paris. Il redoute les excès des ultraroyalistes. Le maintien de l’ordre est pour lui un devoir. La surveillance dissuasive qu’il met en place et le sang- froid de son troisième bataillon en imposent. Quand Louis-Philippe est proclamé roi des Français, François de Fossa est chaudement remercié par le préfet pour son précieux concours.

– À Salon-de-Provence, absent de la garnison, il est calomnié et atteint dans son honneur. D’après une lettre à sa femme et des documents de justice, elle s’est dévouée avec intelligence pour lui venir en aide. Voilà qui éclaire la personnalité de F. de Fossa, tourmenté mais sincère et fidèle à ses idéaux. Son tempérament d’artiste le condamnait-il à une forme d’idéalisme, sa naïveté l’exposait-elle à des pièges ?

Après son mariage, François de Fossa a publié nombre d’œuvres, en France et en Allemagne. En 1838, il a dédié à Aguado qui repartait dans son pays un émouvant morceau, Recuerdo.

En relation avec des compositeurs de son époque, il a connu Fernando Sor, le Catalan de Barcelone, l’Italien Carulli, le violoncelliste Baxmann... En garnison à Besançon, Fossa rencontra sans doute Salomon, l’inventeur de la harpolyre, car il lui dédia Six divertissements pour la harpolyre et on retrouve cet étonnant instrument dans sa succession.

François de Fossa termine sa carrière d’officier à Paris en 1843 et y prend sa retraite à 69 ans. Il habite 23 rue Copeau, près du Jardin du Roi. Après avoir échappé à des périls en tout genre, il est mort à 73 ans, le 3 juin 1849, probablement du choléra.

Musicien dans l’âme

François de Fossa porta l’habit militaire 50 ans durant par nécessité. Les évènements l’ont empêché de faire carrière dans la musique.

Supprimant ses autres prénoms de naissance, il a signé ses œuvres « François de Fossa ».

Sans être guitariste, on en perçoit l’originalité, la richesse, la modernité. Enfant, il a étudié la guitare avec un professeur, mais il s’est ensuite perfectionné seul, apprenant aussi l’art de la composition et devenant capable d’écrire pour le piano forte, le violon et le violoncelle.

Nous n’avons en France aucun manuscrit de sa musique. Ont été retrouvés en Californie des partitions et les manuscrits de trois trios et trois quatuors. D’autres sont dispersés en Europe.

La musique a toujours habité François de Fossa, même dans les pires moments. En 1795, il demande à Thérèse de lui envoyer sa guitare et des cahiers de musique. À Cadix, il renouvelle les cordes de son instrument ; bien que pauvre, il achète pour huit douros une autre guitare, peut-être à cinq cordes doubles.

Il joue pour les Andalouses et chez Azanza, il joue durant le voyage en bateau pour le Mexique : « Notre principal amusement à bord, ou le seul pour ainsi dire, est de faire de la musique ; nous avons pour cela tous les moyens possibles car nous avons des amateurs de violon, d’alto, de flûte, de basse et de guitare. Le vice-roi en est on ne peut plus satisfait, et nous charmons ainsi les ennuis de l’embarcation. »

À son retour, il compose ce qu’il jouera en 1808 à Madrid, avec des musiciens de la chapelle du Roi : « Une œuvre de quatuor que je fis entendre ici fut reçue avec enthousiasme : on m’a prodigué des éloges ; on m’a appelé le Haydn de la guitare. ». Il a alors espéré vivre de sa musique et sa déception fut forte.

Il aime la nouveauté. En France, il commande pour sa nièce chez un luthier de Lyon une guitare qui évoque une lyre: il la juge « d’une nouvelle forme, très sonore et infiniment plus commode que l’ancienne » Il compose des divertissements pour la harpolyre, aux 21 cordes réparties sur trois manches. Sur une partition de 1822, il mentionne l’usage du métronome – récemment mis au point.

Il écrit des arrangements de Haydn, Beethoven, Mozart, il recopie des quintettes de Boccherini qui nous sont parvenus grâce à lui ; son découvreur moderne a affirmé qu’il a apporté sa propre touche à la partition de l’Italien. Enfin François de Fossa compose des œuvres personnelles qu’il veut « modernes ».

Conclusion : l’héritage de François de Fossa

J. Queralt, critique d’art, a vu en lui un compositeur majeur du XIX-ème siècle. Pour le guitariste Francisco Ortiz, l’oubli de son œuvre s’explique par sa très grande difficulté technique.

On ne peut passer sous silence sa surprenante destinée après sa mort. Dans l’inventaire après décès, figure une collection de manuscrits qui comprenait certainement les écrits de son père, et ses propres œuvres. Or son fils cadet se trouve aux Etats-Unis en 1880, couvert de dettes. Il est très probable qu’il a monnayé les manuscrits de son père en sa possession. Matanya Ophee, musicologue et éditeur de musique, a pu en récupérer d’autres dispersés dans toute l’Europe et les publier.

François de Fossa, guitariste et compositeur de génie, n’a pas eu de chance.

Homme à la fois ordinaire et exceptionnel, il a vécu à une époque charnière en Europe, sur le plan historique, celui des idées et de la société.

Désormais tiré de l’oubli, il est joué dans le monde entier.

N.Yrle

Quelques œuvres de François de Fossa

Guitare solo et duos

Arrangements

  • Tyrolienne variée

  • Thème varié, et Huit Valses choisies de Mozart

  • Troisième Fantaisie sur un thème de Beethoven

  • Cinquième Fantaisie sur l’air des Fantaisies d’Espagne - Quatre divertissements, d’après Haydn

  • Neuf Grands Duos sur des musiques de Haydn.

Œuvres originales

  • Première Fantaisie

  • Vingt-quatre Divertissements

  • Les Adieux à l’Espagne

  • Recuerdo

  • Six divertissements pour harpolyre

Musique de chambre

Arrangements

  • Duo concertant pour piano forte et guitare : ouverture d’un opéra de Rossini

  • Duo concertant pour piano et guitare : ouverture du Barbier de Séville

Œuvres originales

  • Trois trios concertants pour violon, guitare et violoncelle

  • Trois Quatuors pour deux guitares ou alto et guitare, violon et violoncelle

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Histoire Nicole Yrle Histoire Nicole Yrle

Rue Fontaine Na Pincarda

À plusieurs reprises, François de Fossa a, en écrivant à sa sœur Thérèse restée à Perpignan — en particulier en 1813 depuis Bayonne — libellé l’adresse ainsi :

« Madame Campagne, née Fossa, vis à vis la fontaine la Pincarde à Perpignan ».

C’était le temps où les numéros n’existaient pas encore !

Cette jolie fontaine publique du Moyen ge, la plus ancienne de Perpignan, est encore aujourd’hui alimentée par une citerne encastrée dans le mur, elle-même reliée à un réseau souterrain depuis une source située près de la porte de Canet (aujourd’hui place Cassanyes).

Elle doit son nom à une famille qui vivait dans la maison à laquelle elle est adossée : les Pincard, des teinturiers et des marchands dont un marchand d’huile à l’époque de François de Fossa. Depuis 1540, sur ordre des consuls, il était interdit de laver son linge dans la fontaine !

À 2,50 m. du sol on voit une plaque de marbre blanc, gravée d’une croix fichée de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. L’encadrement porte une inscription :

« Font del hostal de Sant Johan
d. XXI de oct MCCCCXXXI »

… Ce qui confirme la création de la fontaine en 1431 par les Hospitaliers, à l’origine de la fondation en 1116, près de la cathédrale, d’un hôpital détruit au début du XXe siècle.

Si la maison de Fossa, sise en face de la fontaine Na Pincarda, coula des jours paisibles, d’autres, situées à peine un peu plus loin dans la même courte rue, connurent des tragédies. C’est ainsi qu’en décembre 1661, un assassinat fut commis sur la personne de Don Emmanuel de Sant-Dionis, un homme réputé violent. Il avait eu des relations coupables avec sa jeune et jolie voisine, Thérèse de Béarn, et l’aurait souffletée par jalousie en découvrant qu’elle avait aussi une aventure galante avec Don Ramon de Monfar. C’est ce dernier qui, au cours d’une altercation, tua Sant-Dionis. Il réussit à s’enfuir jusqu’en Espagne, son pays. On arrêta la jeune femme, accusée de complicité. Soumise à la question, la malheureuse ne voulut rien reconnaître ni dénoncer qui que ce fût. Elle espéra jusqu’au bout être acquittée mais fut décapitée place de la Loge, en 1662. Elle avait vingt ans.

Nicole YRLE

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Histoire Gilbert Larguier Histoire Gilbert Larguier

La carrière du juriste François Fossa est exceptionnelle

Né en 1726 à Perpignan, sa précocité fut remarquable. A dix-huit ans il participe au concours de recrutement de la chaire de droit civil vacante à l’université. Deux ans plus tard celle de droit canon lui est attribuée. Il s’impose rapidement. Ses cours soigneusement argumentés, clairs, lui attirent le respect, une large audience, et la confiance de ses collègues. A trente-trois ans il est recteur de la faculté de droit et recteur de l’université. Aussi, lors des cérémonies organisées en 1759 à l’occasion du centenaire du rattachement du Roussillon au royaume de France, fut-il le porte-parole des professeurs de l’université que le pouvoir royal entendait mettre en exergue et dans sa prise de parole il glorifia le monarque ainsi que le commandant en chef de la province, le maréchal de Mailly. Fin connaisseur des subtilités du droit public catalan resté en vigueur en Roussillon après son annexion, il fut sollicité par la noblesse dans le conflit qui l’opposait aux bourgeois honorés. Particularité catalane étrangère à la société française, l’assemblée municipale de Perpignan comme celle de Barcelone disposait du droit de créer des bourgeois-nobles, une catégorie intermédiaire entre la noblesse et la roture dont l’acquisition constituait une étape quasi obligée dans l’ascension sociale – au XVIIIe siècle le pouvoir royal s’arrogea cette prérogative. La « vieille noblesse » française contestait son appartenance au second ordre. La question divisa les élites de la province un demi-siècle durant. Fossa s’engagea dans des recherches de longue haleine, réunit près d’un millier de chartes afin de justifier les droits du second ordre. Un corpus imposant, unique, matériau de ses ouvrages et de l’ébauche de la partie diplomatique d’une Histoire du Roussillon resté inachevée. Il fit don de la majorité d’entre elles au cabinet royal et y gagna la noblesse. Ce don justifia officiellement en effet son anoblissement patronné par le garde des sceaux Miromesnil. Ce dernier, dans une lettre adressée au secrétaire d’État en charge du Roussillon, le maréchal de Ségur, avance comme mérite principal de Fossa d’avoir réuni « les matériaux de l’histoire et le monument du droit public du Roussillon […] Ses riches portefeuilles… feront une partie précieuse des collections que je destine à perfectionner notre histoire. » Les lettres d’anoblissements données par Louis XVI à Versailles au mois de décembre 1786 sont vérifiées par le Conseil souverain et juridiquement efficientes au mois de mars suivant. François Fossa meurt le 6 août 1789, deux jours après la nuit du 4 août dont il ne put recevoir la nouvelle.

Fossa, un parcours exemplaire, dépourvu d’aspérités. Un jeune homme doué, précocement appelé à jouer les premiers rôles à l’université au rayonnement de laquelle il contribue, devenu une référence et un recours en matière de droit public de la Catalogne et du Roussillon pour l’administration comme pour la société, dont la réputation, dépassant les frontières de la province, est connue jusqu’à Versailles, ce qui lui vaut d’être élevé à la noblesse. L’éminent juriste ou les vertus de la voie universitaire dans le Roussillon du XVIIIe siècle. Un cas unique, qui, si on l’examine avec attention, prend tout son relief et sa dimension lorsqu’on le replace dans l’histoire du Roussillon au sein de la séquence originale qui va du traité des Pyrénées (1659) à la veille de la Révolution (1789).

Fossa ou le couronnement d’une ascension sociale

Au-delà de ses qualités personnelles, Fossa donne d’abord à voir un exemple d’ascension sociale remarquable, accompli en moins d’un siècle. Au moment du traité des Pyrénées les Fossa résidaient à Saint-Laurent-de-Cerdans. Pere (son bisaïeul), cloutier de son état, se maria l’année même de l’annexion du Roussillon. On sait l’importance de l’industrie du fer dans le haut Vallespir, ainsi que le rôle tenu par les travailleurs du fer dans la révolte des Angelets, motivée d’abord par le refus de la gabelle du sel, qui au fil des mois prit une tournure ouvertement anti-française. Pere en fut. Il participa au siège de la capitale du Vallespir, Céret (1670), épisode marquant de la révolte qui ne s’éteignit pas avant le milieu de la décennie 1670. Ses deux fils quittent la montagne et le fer, viennent s’installer à Perpignan. L’année de la mort de leur géniteur ils se marient. L’ainé épouse la veuve d’un menuisier natif du sud des Pyrénées, le cadet convole avec la fille de celle-ci. Leur fils Joseph, né en 1690, put aller à l’université, étudia le droit et devint avocat auprès du Conseil souverain. Cela lui permit de faire un mariage gratifiant. Il épousa Francesca Jaubert, fille d’un notaire connu, membre du corps des « mercaders », lui-même en voie d’ascension sociale car son épouse était fille d’un patricien. En raccourci, de la montagne excentrée à la capitale, du fer à la plus haute dignité académique : un siècle exactement sépare le mariage de l’arrière-grand-père cloutier et le discours du recteur de l’université prononcé lors de la célébration du centenaire du rattachement du Roussillon à la couronne de France.

Le cas des Fossa éclaire sur les dynamiques sociales postérieures au traité des Pyrénées. Au moment de l’annexion le Roussillon ne comptait guère plus de 60 000 habitants et Perpignan probablement moins de 5 000. Des mutations se produisent au sein de la population, consécutives aux choix faits pendant les guerres : des départs vers le sud (2 000 ?), des arrivées (1 000 ?). La stabilisation fut lente, entravée par l’incertitude du sort réservé à la province (serait-elle échangée contre un autre territoire ?), une conjoncture climatique et économique difficile, la présence de troupes nombreuses, sans compter le tarissement des relations avec le Principat. Ceci, quasiment jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Ces conditions peu favorables n’ont cependant pas fait obstacle à la mobilité sociale. Au contraire. La guerre et ses retournements de situations y contribuèrent. Afin de s’assurer des soutiens, chaque camp s’employa à conférer des titres et des honneurs, jamais retirés une fois acquis. Pour les Fossa, d’extraction rurale et modeste, la voie fut plus traditionnelle : gagner la ville. Perpignan, si l’on considère la taille de sa population, était une des rares villes (la seule ?) à posséder deux institutions remarquables : un Conseil souverain et une université. Le premier, récemment créé par le nouveau pouvoir, était encore en voie de consolidation. La seconde, beaucoup plus ancienne, victime des troubles, périclitait. On ne saurait trop insister sur leur importance, le soin mis par le pouvoir royal à les conforter, à les mettre en valeur, et sur leur rôle dans la province au XVIIIe siècle. Un exemple, postérieur il est vrai à l’insertion citadine des frères Fossa, en dit long. D’après les registres de capitation il y avait environ quarante avocats auprès du conseil en 1740. A la veille de 1789 ils étaient près d’une centaine. L’étude des patronymes montre qu’il s’agissait essentiellement d’hommes nouveaux. On aperçoit là l’importance, pour le destin du futur juriste, de l’investissement dans des études universitaires, puis du choix de l’accès au barreau auprès du Conseil souverain ; des signes manifestes d’une stratégie d’ascension sociale.

Une séquence originale de l’histoire du Roussillon

Couronnement de cette stratégie, François Fossa bénéficia également de conditions d’existence moins sombres que les générations qui l’avaient précédé. Durant près de trois siècles s’étaient succédés une crise profonde tout au long du XVe siècle comme dans l’ensemble de la Catalogne, l’affrontement entre les rois de France et les Habsbourg après l’accès de ces derniers à la couronne d’Espagne, la défiance croissante puis la rupture entre Madrid et le Principat, sur fond d’insécurité (le « bandolérisme ») et de profondes divisions. L’issue de la guerre de Succession d’Espagne et l’installation des Bourbon à Madrid mirent un terme à cette suite délétère sur laquelle les populations n’eurent jamais aucune prise, au prix, il est vrai, pour le Principat, d’un profond traumatisme symbolisé par le décret de la Nova Planta (1716). On ne saurait trop insister sur les effets à court comme à long terme de l’évènement. Les Pyrénées, leur partie orientale plus particulièrement, cessent d’être le théâtre d’opérations militaires et de mouvements de troupes. La continuité dynastique permet aux Pyrénées, pour reprendre une expression parfois employée en géopolitique, de passer du statut de « zone chaude » à celle de « zone froide ». Entendons par là qu’elles ne constituent plus une frontière conflictuelle. D’aucuns, avant la fin du XVIIIe siècle, iront même jusqu’à imaginer l’effacer. Ainsi le maréchal de Mailly. Voulant améliorer la route conduisant en Espagne il envisagea un instant de faire travailler ensemble au passage du Perthus trois cents Français et trois cents Espagnols « sans délimitation du terrain et sans marquer les limites des deux royaumes ». François Fossa appartient à la première génération qui depuis près de deux siècles n’avait connu ni les troubles, ni la guerre. Par ailleurs, la conjoncture économique s’éclaircit, comme dans l’ensemble des pays méridionaux. Une reprise démographique s’amorce dont les effets commencent à devenir perceptibles au milieu du siècle. Perpignan atteint près de 10 000 habitants. Le pouvoir royal n’aura de cesse de les attribuer à la paix retrouvée. Il renforce, certes, sa dense administration à l’instar de ce qui existait dans les autres provinces du royaume – une nouveauté pour le Roussillon resté relativement sous-administré jusque-là comme le reste du Principat –, mais engage aussi une véritable politique de séduction à l’égard des élites. Celle-ci prend un relief particulier lorsqu’on se rappelle la dégradation des relations entre le Principat et la monarchie espagnole au XVIe siècle puis dans la première moitié du siècle suivant, génératrice d’incompréhension, de défiance, puis de rupture. Elle avait conduit à la « desunió », la noblesse catalane par exemple se plaignant amèrement de n’avoir pas bénéficié des « grâces » de la monarchie. Les relations nouées sur place et du côté du royaume de France sont d’un autre type et d’une autre qualité. On pourrait produire de nombreux exemples. Prenons ceux de François Fossa et de Joseph Jaume, de cinq ans son cadet, professeur de droit civil à l’université (1757), nommé à la chaire de droit français en 1787, et successeur de François Fossa au décanat de l’université après sa disparition. En 1766 ils sont à Toulouse, assistent à une séance du Parlement. On les fait asseoir « dans le parquet, face aux gens du roi », une marque de considération éclatante car on les traitait comme des pairs. Au mois de juin 1784, ils accompagnent le Premier président du Conseil souverain en visite chez le gouverneur du Roussillon, le maréchal de Noailles, à Saint-Germain-en-Laye puis à Versailles. Ils assistent aux audiences du Parlement de Paris. Jaume noue de nombreuses relations. Voici ce qu’il écrit dans ses notes : « je connaissais déjà presque tous ces avocats de Paris, et ils me connaissaient sans nous être vu. » Connaissance et reconnaissance réciproques. Fossa, d’une certaine manière, est l’homme d’une séquence favorable de l’histoire du Roussillon. Il s’éteint avant que n’intervienne la rupture radicale entraînée par la Révolution, avec entre autres la suppression du Conseil souverain et de l’université.

Fossa, un homme des Lumières

Ne nous trompons pas cependant. La « pénétration française » dans la société a été moins profonde et plus inégale qu’on a pu parfois le penser, les pratiques et les relations sociales restant peu modifiées. Des différences existent entre Perpignan, les bourgs et les villages, entre les vallées aussi, ne serait-ce, au fil du XVIIIe siècle, qu’à cause de l’ouverture sur l’extérieur, de la fréquentation par les étudiants d’universités comme celles de Toulouse et de Montpellier. Même les individus les plus proches du pouvoir, qui s’exprimaient en français, restaient profondément catalans dans leurs pratiques quotidiennes. Fossa rédige ses brouillons en catalan. Il pensait donc moins en français qu’en catalan. Ce n’était pas une spécificité roussillonnaise. Il en était de même dans de nombreuses provinces françaises. Les élites n’en ont pas moins été très sensibles aux Lumières. Un ensemble de facteurs y ont concouru. Pour en saisir la conjonction – elle fait du cas du Roussillon un cas extrêmement original – et comprendre l’attitude des nouveaux régnicoles, il convient de prendre un peu de champ. Premier facteur, décisif, sur lequel on insiste peu : la disparition de l’Inquisition en Roussillon. Louis XIV n’avait pas donné de successeur à l’inquisiteur en titre après son décès… Par contraste, on peut voir combien l’Inquisition entrava l’Illustració en Espagne au XVIIIe siècle. Avec la prise de Barcelone en 1714 et la Nova Planta le Principat perd temporairement sa capacité d’attraction. Au même moment la France, sur le plan des arts, de la production intellectuelle et littéraire, de la langue aussi parlée par toute l’Europe éclairée, devient un phare avec, tout au long du siècle, une production immense, de qualité, largement diffusée, alors que la Catalogne est comme frappée d’asthénie. La bibliothèque de Fossa où figurent les principales œuvres classiques mais fort peu d’ouvrages en langue catalane constitue un excellent exemple à cet égard. L’amélioration des communications routières avec le royaume n’y a pas été étrangère, une ligne de messagerie parvenant jusqu’à Perpignan. La diffusion de la franc-maçonnerie témoigne de l’adhésion aux nouvelles formes de sociabilité répandues dans le reste de l’Europe. Neuf loges ont été identifiées à Perpignan, une à Thuir, une autre à Vinça, sans compter les loges militaires. Ce nombre est très élevé pour une ville comme Perpignan dont la population ne dépasse 10 000 habitants qu’au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le rôle du maréchal de Mailly dans sa diffusion a été déterminant. La date de la création de la première loge, la Sensibilité, en 1734, très précoce, est cependant antérieure à sa nomination comme commandant en chef de la province. L’influence de la franc-maçonnerie – elle n’hésite pas à la manifester – se devine par exemple dans le bâtiment de l’université construit après 1759 ou après 1780 dans le plan de la ville nouvelle de Port-Vendres. Tout à ses recherches sur les monuments de l’histoire du Roussillon, Fossa paraît moins impliqué que d’autres dans les réseaux académiques du royaume. Il se signale cependant par ses liens renoués avec les sociétés de pensée du sud des Pyrénées concrétisés par son élection à l’Académie des Belles Lettres de Barcelone. Son discours de réception en 1780 est très éclairant. Modèle du genre, il est celui d’un homme des Lumières. Rien ne manque du vocabulaire et de l’esprit de celles-ci (talents, vertu, raison, mérite, utilité…). Il commence par célébrer l’Académie, fleuron « des plus célèbres Académies de l’Europe », « corps lumineux qui éclaire la nation catalane », dont la fonction, comme toutes les académies, est de discerner les mérites, les vertus, les talents et d’élever à une noblesse différente de la « noblesse martiale », seule reconnue naguère, qui, à la force des armes, substituerait la domination de la raison, « l’art de penser juste, de bien écrire, de bien parler », des qualités appelées à se répandre dans tous les états, c’est-à-dire dans l’ensemble du corps social. Fossa ne manque pas de rappeler les liens qui l’attachent à la Catalogne voisine, ses ascendances familiales dans le haut Vallespir, la fraternité entre les Roussillonnais et les Catalans en raison d’un droit partagé et réciproque de naturalité, ses travaux d’histoire et de droit public qui l’ont en quelque sorte naturalisé de l’autre côté des Pyrénées. Pour bien saisir le sens de cette réflexion ainsi que celui de son « adoption » par l’Académie des Belles Lettres il faut se souvenir que le décret de la Nova Planta avait considérablement réduit dans le Principat le champ d’application du droit public ancestral. On ne peut manquer de mettre en regard l’élection et l’anoblissement. L’une et l’autre distinguent le même domaine de compétence et d’excellence en des termes quasi identiques. L’élection élève à la noblesse académique, l’anoblissement à celle du mérite par la grâce royale. Notons l’emploi du possessif par le garde des sceaux lorsqu’il annonce destiner les chartes transmises par Fossa « à perfectionner notre histoire ». Ce notre signifie reconnaissance de la diversité des sources juridiques du royaume et addition des catalanes à celles-ci. Fossa était trop fin juriste pour ne pas en percer la portée symbolique. Il signifiait un degré supplémentaire de l’insertion du Roussillon dans le royaume, laquelle ne serait plus seulement territoriale. Cette esquisse ne saurait aborder, voire évoquer succinctement, tous les aspects de la carrière de François Fossa. Intelligence précoce, il s’impose rapidement comme un des maîtres les plus éminents de l’université en plein renouveau. Sa notoriété, acquise par sa connaissance du droit public catalan, lui vaut d’être accueilli à l’Académie des Belles Lettres de Barcelone et anobli par Louis XVI. Cas unique en son temps d’une reconnaissance pareille des deux côtés des Pyrénées. Fossa a cependant moins contribué à façonner son temps qu’il n’en a été le produit. Par là il en est le révélateur pertinent et l’éclaire. L’instant même de son décès est saisissant. Depuis deux jours les privilèges féodaux sont abolis, ceux des ordres, des provinces, des villes, des corporations, vont l’être dans la foulée. Soit la suppression de la noblesse, et pour le Roussillon l’abrogation de son statut, de son droit particulier, de ses institutions publiques, privées, religieuses. Une transformation encore plus radicale pour la province qu’elle ne le sera pour le reste du royaume. François Fossa s’éteint quand un monde – son monde – s’apprête à disparaître.

Gilbert LARGUIER

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Histoire Jean Rifa Histoire Jean Rifa

Des hommes et le Roussillon

François de Fossa fils (1775-1849) officier supérieur et … compositeur de grand talent.

C’est l’histoire invraisemblable d’un homme né à Perpignan et qui, on ne sait où ni comment, écrit une musique très en avance sur son temps. Abandonnée à sa mort dans des cartons, elle sera découverte fortuitement par un guitariste américain qui se mettra en quête de la faire reconnaître et apprécier du monde entier.

Lorsque un père et un fils portent le même prénom et qu’ils ont été tous deux des personnages marquants de leur temps, une certaine confusion se crée forcément à leur sujet. Qu’a fait l’un ? Qu’a fait l’autre ? De qui parle-t-on ? À fortiori, lorsque plus d’un siècle et demi nous éloigne d’eux. C’est peut-être pour cette raison que François de Fossa fils, un musicien aujourd’hui renommé mondialement, est quasi inconnu ici, éclipsé par la personnalité de son père. Pour en dire un mot, de ce père célèbre (1726-1789), sachons simplement qu’il a été juriste, homme de lettres, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Perpignan et grand historien. La rue de Perpignan qui porte le nom François de Fossa, créée en 1912, est donc dédiée au père, François le fils n’étant en ce moment-là pas connu. Et pourtant sa vie vaut d’être contée !

Une découverte fortuite

Lors d’un récital qu’il donne au Festival International de Guitare de Cracovie, en Pologne, J. Francisco Ortiz, professeur de guitare au Conservatoire National de Région de Perpignan, fait la connaissance d’un éditeur et musicologue américain qui lui dit être en possession de partitions pour guitare écrites par un certain François de Fossa. La curiosité fait place à l’étonnement lorsque F. Ortiz déchiffre ces partitions parfaitement inconnues jusqu’ici. Des « œuvres particulièrement belles que je me mis en tête de faire connaître » dit F. Ortiz. Et une question taraude son esprit : « Comment se fait-il que cette musique ne soit pas arrivée jusqu’à nous alors qu’il était l’ami intime à la fois de Dionisio Aguado dont il traduisit la méthode en français et de Fernando Sor dont aucunguitariste n’ignore les études ? » L’explication lui en sera donnée un peu plus tard par l’étonnante histoire que raconte cet américain à la fois guitariste, musicologue et éditeur, Matanya Ophee qui, en 1979, découvre par hasard une œuvre de de Fossa à Concord, dans le New Hampshire. La qualité de la partition entraîne Ophee dans une très longue démarche de recherches sur François de Fossa. Et l’invraisemblable se produit : Ophee découvre qu’il existe bel et bien à Perpignan un dépôt inexploité fait depuis une vingtaine d’années aux archives par une dame de Marseille, descendante directe de la famille de Fossa. Prenant contact par téléphone avec cette dame, l’américain n’en croit pas ses oreilles lorsqu’il entend la voix de Madame de Fossa. « C’est un peu comme si j’avais eu Mme Mozart au téléphone, » dira-t-il. Et cette rencontre va enclencher un long travail de découverte et de reconnaissance de l’œuvre immense de ce génial compositeur. Ajoutons que, selon Matanya Ophee qui a fait une thèse sur la guitare, François de Paule de Fossa aurait introduit la guitare en Amérique, via le Mexique.

Militaire et baroudeur

François de Paule de Fossa naît à Perpignan le 31 août 1775, de François et Thérèse Beauregard. De ses études et de son éducation on ne sait rien sinon que son milieu familial érudit lui donne accès à une culture développée et ouverte aux arts et à la musique. Le domicile de la famille de Fossa se situe au cœur de la ville, rue Fontaine Na Pincarda, face à la fontaine. La Révolution et le décès de son père en 1789 le font émigrer en Espagne en avril 1793. Il y rejoint l’armée du Roussillon avant d’entrer au service de Miguel d’Azanza, ministre de la guerre puis vice-roi de la Nouvelle Espagne (Mexique). De 1798 à 1803, de Fossa accompagne le vice-roi dans ses campagnes au Mexique où il sera commandant de la 4ème division de la Milice de la Côte Sud. De retour en Espagne, il est nommé à l’État-Major de l’Armée Espagnole, à Cadix. Chef de bureau du ministre des Indes en 1808, il reste attaché à son régiment et, lors de la bataille de Grenade, le 27 janvier 1810, il est fait prisonnier par l’armée napoléonienne et emmené à Madrid. Il sera libéré par Joseph 1er, le nouveau roi d’Espagne et retrouve son poste au ministère des Indes. A la chute de Joseph 1er, en 1813, il se réfugie en France avec l’armée napoléonienne et se retrouve capitaine de la Légion Départementale de l’Allier qui deviendra le 3e Régiment de Ligne. Sa carrière militaire se poursuit dans diverses villes de garnison françaises et c’est à Strasbourg qu’il prend pour épouse en 1825 Marguerite Sophie Vautrin. Trois enfants naîtront de leur union, Cécile, Victor et Laurent. En 1830, il participe également à la conquête de l’Algérie. Retiré de l’armée en 1844, officier de la Légion d’Honneur, François de Fossa décède à Paris le 3 juin 1849.

Et la musique ?

Une carrière militaire aussi mouvementée peut-elle laisser une place à la composition musicale ? Cela semble bien compromis et pourtant, les premières œuvres sont datées de 1808. Ce détail est connu par une lettre qu’il adresse de Madrid à sa sœur Thérèse Jaubert de Campagne, demeurant à Céret. « (…) les connaissances que j’avais acquises dans la musique et dans la composition m’avaient donné l’espoir de me rendre utile au public et de gagner au moins ma vie à composer pour la guitare (…) Mon premier essai redouble mon espoir : une œuvre de quatuor que je fis entendre ici fut reçue avec enthousiasme ; on m’a prodigué des éloges, on m’a appelé le Haydn de la guitare » Propos enthousiastes vite rattrapés par la réalité car, lorsqu’il voulut tirer parti de son talent de compositeur, on ne lui offrit que quelque misérable argent « de quoi payer seulement le papier » ajoute-t-il, amer. Disons aussi que la situation financière du jeune homme n’est guère florissante. De Madrid, il dit dans ses lettres que ses émoluments ne sont pas à la hauteur du poste qu’il occupe et que, parfois, il n’est même pas payé. Fossa ne fera donc jamais une carrière de musicien à temps plein mais, loin de se décourager, il crée des œuvres dont les qualités premières sont la recherche et la fraîcheur. N’ayant à composer que pour lui-même, il ne subit aucune contrainte d’ordre commercial et sans doute voit-on dans cette situation de liberté totale la clef du nouveau genre qu’il développe. Matanya Ophee, le musicologue américain, écrit en 1990 : « ces pièces surprennent par la richesse inhabituelle de leur matériau mélodique, ainsi que par les amusantes inventions dont elles sont parsemées. Rythmes syncopés, souvent alliés à des pédales dissonantes, effets dynamiques inattendus, prestidigitations harmoniques, modulations fréquentes et imprévues, tout cela contribue à créer une musique intense et vibrante (…) Sans aucun doute, la contribution principale de Fossa au répertoire de la guitare, par-delà même sa propre musique, réside dans le fait que, sans lui, nous n’aurions jamais connu les quintettes pour guitare de Boccherini, qui sont peut-être la pierre angulaire de la musique de chambre avec guitare ».

Reconnu mondialement

Qu’en est-il aujourd’hui, dans son pays de naissance ? Outre J. Francisco Ortiz, qui a enregistré dans les locaux du Castillet l’œuvre de Fossa pour guitare seule et qu’il a eu le plaisir de présenter à Mexico, à Acapulco et à Jaèn, lieux où résida de Fossa, l’association « l’Art et la Manière » est désormais le partenaire culturel du « Quatuor François de Paule de Fossa » qui s’est produit au Festival de Palau del Vidre cet été 2005 lors de la journée hommage dédiée au compositeur en présence de musiciens et musicologues du monde entier, de Maître Roland d’Ornano, du barreau de Marseille et de Nice, descendant direct du compositeur par sa mère, Matanya Ophee, musicologue et éditeur américain, Jacques Quéralt, animateur du colloque, Jacqueline Veisse-Maspharmer, auteur de « François de Fossa, journal d’un émigré catalan », Michel Peus ancien directeur adjoint du C.N.R. de Perpignan, Joan Peytavi, Universitaire. Le « Quatuor opus 19 » de François de Fossa a été à cette occasion remarquablement interprété par J.Francisco Ortiz et Pascal Goze à la guitare, Paule-Pascale Rabetllat au violon et François Ragot au violoncelle.

Quant au parcours maintenant mondial du compositeur, citons entr’autres les CD de Kazuhito Yamashita, (1995), 3 Quatuors enregistrés chez Stradivarius par Lorenzo Micheli, Matteo Mela, Ivan Rabaglia et Enrico Bronzi, le 1er enregistrement mondial avec instruments d’époque « The complete 9 String Quartets » avec Jukka Savijoki et Erik Stenstadvold (2001), Grand Duo de guitare du Festival de Malbronn 2001, « Concertants 3 op.18 » F. de Fossa, Simon Wynberg, Bryan Epperson, Martin Beaver.

Condensé de son œuvre

  • Compositions originales (nombreux quatuors, duos, solos) certaines restent encore à découvrir,

  • Arrangements des compositions de Haydn,

  • Nombreuses transcriptions d'ouvertures d'opéras,

  • Adaptation en français de la Méthode de guitare de Dionisio Aguado.

Une bibliographie de ses œuvres a été publiée aux Editions Orphee (Etats-Unis).

Sources

  • Notices sur François de Fossa, par Matanya Ophee, J.Fransisco Ortiz, Jacques Quéralt, Jacqueline Veisse-Maspharmer, collationnées et aimablement communiquées par Marielle Olive,

  • Extraits de presse (L’Indépendant des 22 et 27 juin 2005) art. de J-M Collet et B. Gorrand. Contact : « Quatuor François de Paule de Fossa »

  • Organisation de concerts : Association « l’Art et la Manière », Marielle Olive : Tél : 04 68 50 97 34, Port : 06 22 80 34 01, Mail : art.maniere@wanadoo.fr Illustration : Portrait de François de Fossa (envoyé par mail au journal par M. Olive).
    avec l’aimable autorisation de Maître Roland d’Ornano

Jean RIFA

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Histoire Gilbert Larguier Histoire Gilbert Larguier

François Fossa, le Roussillon et les élites roussillonnaises à la fin du XVIIIe siècle (une esquisse)

La carrière du juriste François Fossa (1726-1789) est exceptionnelle.

Son intérêt prend tout son relief lorsqu’on la replace dans l’histoire du Roussillon, au sein de la séquence originale qui va du traité des Pyrénées (1659) à la veille de la Révolution (1789).

Préalablement une mise en perspective est nécessaire. Le Roussillon était en effet profondément différent de ce qu’il est aujourd’hui.

Le Roussillon entre deux couronnes

Un faible poids démographique

En 1789 la province du Roussillon comptait environ 100 000 habitants, Perpignan 13 000.

Ces chiffres sont à comparer avec la situation de la province en 1659, lors du traité des Pyrénées, et avec aujourd’hui.

Un recensement donne, pour 1659 : 58 000 habitants, 3 850 pour Perpignan.

Actuellement le département des Pyrénées-Orientales compte environ 470 000 habitants et Perpignan 120 000.

Ces chiffres peuvent être considérés comme approchés. Ils ne s’éloignent cependant guère de la réalité, donnent des proportions éclairantes : en 1659 la province du Roussillon comptait environ sept fois moins d’habitants qu’aujourd’hui (il faut défalquer au chiffre actuel la population des Fenouillèdes, terres languedociennes intégrées dans le département des Pyrénées-Orientales créé en 1790) ; en 1789, 4,5 fois moins. Le département des Pyrénées-Orientales est en effet un de ceux, en dehors de la région parisienne, dont la population a le plus augmenté au cours de la période contemporaine. Augmentation qui s’est accompagnée d’une profonde transformation de sa répartition : l’intérieur était, relativement, plus peuplé qu’aujourd’hui, la zone côtière au contraire quasiment vide d’habitants. Ainsi, en 1806, il n’y avait entre Argelès et Leucate que 700 habitants (dont 141 à Canet).

La Catalogne, dans son ensemble, au milieu du XVIIe siècle, dépassait de peu 500 000 habitants, et Barcelone en comptait environ 50 000.

Cet étiage démographique du milieu du XVIIe siècle, imputable à une situation ancienne, était le résultat d’une addition de facteurs :

La crise profonde qui a sévi en Catalogne au XIVe puis au XVe siècle.

La Catalogne est devenue une terre d’affrontement depuis la fin du XVe siècle et surtout depuis que la couronne d’Espagne est revenue aux Habsbourg : un siècle et demi de confrontation avec la couronne française dont le Roussillon a été un des théâtres principaux en raison de sa situation et une de ses principales victimes (On est à un moment de l’histoire d’émergence des États, où les affrontements se concluent par des « prises de guerres », lesquelles sont des territoires, … ceci durera jusqu’au milieu du XXe siècle).

Sans compter les problèmes internes (rivalité entre Barcelone et Perpignan, bandolérisme).

De la guerre à la paix

Ce rappel en exergue était nécessaire. Il faut faire un effort, en effet, pour se représenter la situation du Roussillon et du Principat au milieu du XVIIe siècle.

Après le traité des Pyrénées, le poids de la guerre ne disparaît pas, jusqu’à la fin de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), soit durant plus d’un demi-siècle supplémentaire. Pour deux raisons : la politique de fortification et, davantage, la présence de troupes, très nombreuses temporairement, même si, après 1659, le Roussillon n’a pas connu sur son sol d’opérations militaires, le Principat ayant au contraire été beaucoup plus affecté par celles-ci.

Interfère aussi (même si ceci a été peu visible) l’incertitude du sort du Roussillon : des tractations ont eu lieu en effet en vue d’un échange avec des territoires situés au nord du royaume (1672-1673).

Cette durée de la guerre, le sentiment de subir les rivalités des grandes puissances, les divisions de la société catalane à la suite de la « révolution de 1640 » également, expliquent le sentiment de lassitude à l’égard de la guerre, très répandu en 1659.

Gilbert LARGUIER
Professeur émérite d’histoire moderne
Université de Perpignan Via Domitia

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Le parcours de François de Fossa pendant la guerre d’indépendance (1808-1810)

Au cours des 19 mois, de juillet 1808 à janvier 1810, où aucune lettre n’est disponible, le parcours de François de Paule de Fossa ne peut faire l’objet que d’une reconstitution approximative à partir de deux documents essentiels :

Les états de service militaire fournis par de Fossa en février et septembre 1815 à l’appui de sa demande d’incorporation à l’armée française ; bien que ce document semble couvrir et jalonner – outre ce que l’on sait par ailleurs des épisodes d’Acapulco et Cadiz – l’ensemble de la période de juin 1808 à janvier 1810, il convient de rester très prudent aussi bien vis-à-vis des dates de ses affectations successives que du détail des « affaires » auxquelles il a participé : Agoncillo, Tórtola, Tudela, Almonacid, Ocaña et la Sierra Morena.

La lettre adressée au négociant franco-espagnol Garcies le 17 juillet 1814, incluse dans celle adressée à Thérèse le 9 août suivant ; il y fait état des « perfides machinations de Buonaparte » qui l’ont conduit à « la première armée que j’ai rencontrée, qui fut celle du général La Cuesta », avec la précision qu’il a toujours eu pour mission d’instruire les recrues et qu’il exerça durant plus d’un an les fonctions de Sargento Mayor – quelque chose entre capitaine et commandant – au 2e de Jaén jusqu’à sa capture à Grenade fin janvier 1810.

L’engagement de François de Fossa dans l’armée des insurgés espagnols

Un certain Don José Pascual de Zayas y Chacón (1772-1827) dont on peut trouver une biographie relativement crédible sur Wikipédia, puisqu’on peut la recouper avec d’autres sources – avait déjà été signalé de 1805 à 1807 comme aide de camp du lieutenant général Gonzalo O’Farril (1754-1831), à l’époque où celui-ci était missionné par Napoléon pour assurer la défense du petit royaume d’Étrurie dont la reine Maria Luisa de Bourbon-Parme était la fille du roi d’Espagne Carlos IV. Signalons au passage qu’O’Farril et Zayas sont tous deux nés à La Havane (Cuba) et sont apparentés de plusieurs manières, avec des liens triangulaires entre les familles O’Farril, Zayas et Chacón.

Peu après la dissolution du petit royaume, les deux cousins se retrouvent au printemps 1808 à Madrid, où O’Farril est devenu ministre de la Guerre de la Junte de gouvernement à laquelle Ferdinand VII avait délégué ses pouvoirs avant de se faire piéger par Napoléon à Bayonne, tandis qu’Azanza y devenait ministre des Finances et appelait Fossa à ses côtés. Il n’est pas exclu que Zayas ait joué durant quelques semaines auprès d’O’Farril un rôle analogue à celui que jouait Fossa auprès d’Azanza. Fossa et Zayas étaient donc déjà logiquement proches. À partir de là, Zayas se révèle un bon « fil directeur » pour apprécier le parcours de François de Fossa.

Pour commencer, Zayas va se trouver mandaté par la Junte pour transmettre un message discret à Ferdinand VII comme quoi les choses ne se passent pas à Madrid comme prévu : Zayas fait ainsi un aller-retour Madrid-Bayonne, remplit sa mission, se fait arrêter en France puis est relâché le 11 mai. Mais dès son retour à Madrid, il reçoit l’ordre de s’embarquer à La Corogne avec un contingent devant rejoindre Buenos-Aires, car l’Argentine aussi s’agite ! Or, sur la route de La Corogne, Zayas va faire étape vers le 1er juin 1808 à… Valladolid au moment précis où poussé par l’effervescence populaire, le vieux général Gregorio Garcia de la Cuesta (67 ans) crée ex nihilo l’éphémère et autoproclamée Armée de la Castille pour lutter contre l’envahisseur français. Zayas sympathise alors avec La Cuesta, qui en fait aussitôt son chef d’état-major. Oubliée l’Argentine.

Les choses vont rapidement se gâter

Le 12 juin, La Cuesta et Zayas, qui veulent couper aux Français la route Burgos-Madrid, conduisent 5000 soldats, pour l’essentiel de jeunes recrues, à la nasse de Cabezon de Pisuerga, ce qui aboutit à un véritable massacre face aux troupes de Bessières.

La Cuesta s’allie alors avec le général Blake (qui commande aussi des insurgés mais en Galice plus au nord, et avec plus de sagesse) pour poursuivre un combat qui va se cristalliser autour de Medina del Rioseco (14 juillet) au nord de Valladolid ; nouvel échec cuisant face à Bessières, dû en grande partie à la mésentente entre les généraux, mais l’attitude indécise, voire erratique, de La Cuesta, fut stigmatisée par la suite.

Le repli après ce 2e échec se faisant sous la pression de Bessières, la biographie de Zayas nous donne une précision intéressante, c’est que sur SA suggestion, il aurait permis à La Cuesta, depuis la position de Benavente (à mi-chemin de Valladolid et de Leon) d’échapper à ses poursuivants puisqu’après avoir fait semblant de partir vers le nord (Leon) l’Armée de Castille aurait au contraire filé vers le sud par Toro et Zamora pour atteindre Salamanca le 1er août ; pour ce fait, Zayas est promu colonel par La Cuesta !

Mais pendant que La Cuesta avait tendance à la « jouer perso » comme on dit, l’étoile du général Castaños montait après sa victoire de Bailén et c’est vers lui que se tournait la Junte Suprême d’opposition (sise à Aranjuez), non vers La Cuesta qui allait bientôt se trouver démis de son commandement en septembre 1808, son Armée de Castille se trouvant du coup déclassée en une simple division placée sous le commandement de Castaños. Zayas était corrélativement démis de son poste de chef d’état-major et rentrait dans le rang au sein de la nouvelle division. Peu de temps après, La Cuesta était tout simplement arrêté le 9 octobre par la Junte afin de ne pas perturber les actions de Castaños ; on ne lui redonnerait un commandement (en Estrémadure) que 3 mois plus tard, cf. ci-après.

On peut à ce stade considérer que l’engagement de Fossa dans « la première armée que j’ai rencontrée, qui fut celle du général La Cuesta » n’a pu se faire qu’en juillet ou août 1808, car ensuite cette armée n’a plus existé. On peut aussi présumer qu’avec quelques semaines de décalage il a suivi l’exemple de son « collègue de junte » José de Zayas, qui allait devenir quelques mois plus tard ni plus ni moins que le colonel commandant le régiment de Jaén, dont Fossa fit partie. Enfin la manière dont François de Fossa parle de La Cuesta est le signe qu’avec le recul il prit en mettant sa « rencontre » sous le signe du hasard – ce qui est peu crédible – de sérieuses distances avec un général dont la postérité retiendra à la fois l’ingérabilité et l’incompétence stratégique et tactique.

De Valladolid à Cuenca

Lorsque François de Fossa parle du 2e de Jaén, il doit s’agir du 2e bataillon du R.I. de Jaén. Il connut une existence courte (1793-1811) mais bien remplie, et en particulier il se couvrit de gloire lors de la bataille de Bailén le 19 juillet 1808, où son colonel et son adjoint, Antonio Moya et Carlos Sevilla, furent tués. Il était alors rattaché à la 1e division de l’armée andalouse de Castaños, commandée par le général suisse Teodoro Reding.

Lorsque la menace de la Grande Armée se précise et que la Junte Suprême arrête son dispositif pour y faire face, et donc après la mise sur la touche de La Cuesta, on y voit un peu plus clair :

Dans un premier temps, les troupes de Castaños qui montent vers le nord s’étalent en gros, à la mi-octobre, sur un axe Aranda de Duero / El Burgo de Osma / Soria / Tudela.

L’objectif est alors d’atteindre le front de l’Èbre, de Logroño à Tudela.

C’est dans ce contexte que Castaños ordonne à la division de l’ex-Armée de Castille (sans doute à partir du Burgo de Osma) de se porter au-devant de l’aile droite impériale, qui approche par la rive gauche de l’Èbre. Une escarmouche va ainsi se produire à Logroño le 25 octobre entre cette pauvre division et les forces du maréchal Ney, supérieures sur tous les plans. Pour l’histoire qui a tendance à globaliser, ce jour-là Ney a battu Castaños, point. Or selon la biographie de Zayas, il semble que les Espagnols se soient quelque peu dérobés face à l’ennemi et que Castaños ne leur ait pas pardonné ce comportement, au point de dissoudre sur-le-champ la division (~10.000 hommes, quand même) malgré les énormes besoins humains qui étaient les siens. Cela sent un peu le règlement de comptes.

Mais en y regardant de plus près, un détachement de la 4e division de Castaños (commandée par le général Manuel de la Peña), semble s’être battu le 26 octobre à San Adrian près de Calahorra (à mi-chemin de Logroño et Tudela) et avoir poursuivi vers l’ouest jusqu’à... Agoncillo, à ~15 km de Logroño ! Ce bourg fut momentanément occupé le 12 novembre, avant repli sur Calahorra, quelques jours avant la bataille de Tudela, et sans qu’un choc militaire y ait été signalé ; cette précieuse information nous vient de la biographie du futur général Rafael Menacho y Tutlló, connu pour son intrépidité et qui faisait partie de ladite 4e division. Elle est aussi à rapprocher de la suite de la biographie de Zayas, qui nous apprend que le 23 novembre, jour de la bataille de Tudela, il offrit ses services au général de la Peña, qui l’accepta dans sa division. Gardons à l’esprit qu’il y a environ 35 km d’Agoncillo à Calahorra, et que l’ordre de repli de Calahorra sur Cascante (position occupée par La Peña durant la bataille) ne fut donné par Castaños que le 21 novembre, soit deux jours avant les combats de Tudela, qui restèrent dans les mémoires un épisode plutôt honorable de la guerre d’indépendance, malgré quelques dissensions entre généraux.

Ces détails suggèrent l’idée que les soldats perdus – mais ne demandant qu’à se racheter – de l’ex-armée de La Cuesta licenciés par Castaños, à commencer par Zayas le plus gradé d’entre eux, aient pu être récupérés autour d’Agoncillo soit par humanité, soit par intérêt pour la suite de la campagne, et/ou que le général en chef soit en définitive revenu sur son mouvement de colère. Et bien entendu ce scenario, qui fournit le chaînon manquant au parcours de Zayas, vient aussi étayer celui de François de Fossa en nous expliquant sa présence à Agoncillo et à Tudela. Notons au passage que la division de La Peña fut passive pendant la bataille elle-même, ce que lui reprocha ensuite Castaños.

La plupart des commentateurs s’accordent à dire que la retraite organisée par Castaños pour échapper aux unités avancées du maréchal Lannes (vainqueur de Tudela) fut un modèle du genre. Après Borja, Calatayud, Bubierca (combat le 29 novembre), Siguënza fut atteinte en bon ordre le 30 novembre. De là Castaños espérait encore arriver à temps pour arrêter Napoléon à Somosierra, puis à Madrid mais il était déjà trop tard. Au moins l’essentiel des forces regroupées pu-t-elle atteindre la ville de Cuenca où l’armée andalouse, dite du Centre, allait être réorganisée à partir du 12 décembre 1808, Castaños passant alors le commandement au duc d’Infantado. Il est probable que c’est à cette occasion que de Fossa fut incorporé au R.I. de Jaén, et non pas au 3 mars 1809 comme il l’a indiqué dans ses états de services en 1815 : ce serait d’ailleurs plus logique, eu égard à sa lettre à Garcies où il déclare avoir passé plus d’un an au Jaén, or de Cuenca à Grenade, cela ferait 13 mois, le compte est bon.

De Cuenca à Grenade

Que penser de Tórtola, l’une des 6 affaires auxquelles François de Fossa dit avoir été mêlé ? Tórtola semble lié à la première initiative d’Infantado qui consista à organiser une véritable expédition-suicide vers l’ouest (Aranjuez et Tarrancón, sur le Tage). Le général Venegas, qui en était le fer de lance, fut victime d’une furieuse contre-attaque du maréchal Victor aboutissant au désastre d’Uclés le 13 janvier 1809 : sur ~10.000 hommes, on dénombra 6.000 prisonniers et de 1.000 à 2.000 tués, selon les sources. La débandade qui s’ensuivit fut mémorable, d’autant qu’Infantado attendait tranquillement à deux pas de là et n’a pas levé le petit doigt. Une fois regroupé ce qui restait de son armée à Carrascosa, Infantado revint vers Cuenca et c’est là, une vingtaine de km au sud, que se produisit vers la fin janvier l’engagement de Tórtola où les Espagnols abandonnèrent 15 canons, moyennant quoi Victor abandonna la chasse. Il semble clair que Fossa y était.

L’Armée du Centre descend alors vers le sud, elle est au-delà d’Albacete le 21 janvier, et en février à Sta Cruz de Mudela en vue de Linares. L’initiative suivante d’Infantado est de diviser cette armée en deux :

L’une d’elles, sous la direction du duc d’Albuquerque, va être envoyée en renfort au revenant La Cuesta, qui commande l’armée d’Estramadure ; les deux armées feront leur jonction le 27 mars 1809, la veille de la bataille de Medellin ; François de Fossa en faisait probablement partie, puisque la présence à Medellin aussi bien du R.I. de Jaén (2 bataillons) que de son chef le colonel Zayas sont cités par la plupart des sources ;

L’autre prendra le nom d’Armée de la Mancha, sous les ordres de Venegas, promu malgré la déroute d’Uclés.

Par suite d’une épouvantable panique, la bataille de Medellin (28 mars 1809) tourne une nouvelle fois au désastre pour les Espagnols (~8.000 morts). Le pauvre François de Fossa a dû se trouver une fois de plus obligé de fuir en catastrophe au milieu d’un encadrement totalement dépassé, La Cuesta se trouvant même renversé de son cheval par ses propres soldats !

Après Medellin, l’increvable La Cuesta mène aux côtés des Anglais de Sr Arthur Wellesley, le futur duc de Wellington, la bataille de Talavera (27-28 juillet 1809) qui cette fois n’est pas une défaite : après 2 jours de combats sanglants, Français et Anglo-Espagnols s’éloignent les uns des autres ; ni vainqueurs ni vaincus. Mais la mésentente entre La Cuesta et Wellesley a grandi au fil des jours et les Anglais se sont davantage battus, laissant sur le carreau plus de 6.000 morts, contre ~1.000 Espagnols. Amer, le général anglais se retire vers le Portugal en confiant la protection de ses blessés au général La Cuesta... lequel les abandonne purement et simplement à leur sort, une véritable honte que Wellington mettra 2 ans à pardonner à l’armée espagnole. Notons que dès le 12 août 1809, La Cuesta – qui décèdera 2 ans plus tard – démissionne au profit du général Eguia, lequel reçoit l’ordre de fusionner avec le reste de l’armée de Venegas, qui s’est fait étriller la veille à Almonacid près de Tolède, à 80 km de là.

Où se trouvait de Fossa, fin juillet 1809 ? Les indices nous éclairent peu : certes, José de Zayas semble toujours à Talavera le n° 2 de La Cuesta, et le R.I. de Jaén y est aussi... ou n’y est pas, cela dépend des sources. François de Fossa peut donc avoir quitté l’armée d’Estremadure (La Cuesta) pour celle de la Mancha (Venegas) soit après Medellin – le plus probable – soit après Talavera, ayant dans les deux cas de bonnes raisons d’être dégoûté de son général en chef.

Nous pouvons cependant tenir pour acquis que François de Fossa est sous les ordres du général Venegas à la bataille d’Almonacid, où il est blessé le 11 août 1809. Zayas, nous le savons, n’y est pas, cependant les deux hommes vont se retrouver ensemble lors de la terrible bataille d’Ocaña (19 novembre 1809) où l’Armée du Centre, confiée cette fois au lamentable général Areizaga, se fait tailler en pièces par Soult : 55.000 hommes au départ, moitié moins à l’arrivée, et François de Fossa est blessé pour la seconde fois. Dans les deux cas, l’état-major a été au-dessous de tout, multipliant négligences, ordres et contre-ordres, et pour tout dire transformant ce qui aurait pu être a minima des défaites honorables en une double boucherie pour plusieurs dizaines de milliers de soldats espagnols.

Après le désastre, les débris de l’Armée du Centre gagnent la Sierra Morena où sous les ordres de Zayas qui avait pris, semble-t-il, les choses en main, les Espagnols tentent de monter un ultime verrou au défilé de Despeñaperros pour empêcher l’invasion de l’Andalousie. Soult fera sauter ce verrou sans difficulté le 20 janvier 1810, finissant de disperser les soldats espagnols en direction de Jaén et Úbeda. Le jour même, les 60.000 hommes de Soult, accompagnés du roi Joseph, ainsi que d’Azanza qui fait partie de sa suite, se retrouvent au bourg de La Carolina (150 km au nord de Grenade).

Quant à François de Fossa, convalescent après le coup de sabre reçu à Ocaña, soit il avait déjà gagné Grenade par ses propres moyens, pour y rejoindre son ami Zavaleta (c’est ce qui semble résulter de sa lettre du 30 janvier 1810) soit il figurait parmi ceux qui furent dispersés lors des engagements de Jaén et d’Alcala la Real, fuyant la rapide avance du général Sébastiani. De toute façon, les troupes de Sébastiani entrent à Grenade le 28 et le font prisonnier le 29 janvier 1810.

La chance voulut qu’Azanza, au lieu de continuer avec Joseph vers Cordoue et Séville, profitât de la protection de Sébastiani afin de prendre les nouvelles fonctions de Commissaire Royal de Grenade auxquelles il venait d’être nommé par le roi Joseph, et parvienne à point nommé pour sauver de Fossa d’une exécution quasi-certaine.

Conclusion

Lorsque l’on fait le bilan de la guerre d’indépendance, du moins pour la partie que François de Fossa a probablement vécue et ce qu’il en a retenu pour ses états de service :

  • le 25 octobre 1808, de Logroño qui fut une défaite presque sans combattre, François de Fossa ne parle pas ;

  • le 12 novembre 1808, Agoncillo est cité, alors que c’était pourtant consécutif à Logroño ;

  • le 23 novembre 1808, la bataille de Tudela, défaite honorable, est citée bien que François de Fossa n’ait pas vraiment participé à l’action ;

  • le 13 janvier 1809, c’est la débandade d’Uclés, que François de Fossa passe sous silence ;

  • fin janvier 1809, est cité l’épisode mineur de Tórtola, qui pourtant est une suite d’Uclés ;

  • le 28 mars, la catastrophique bataille de Medellin n’est pas évoquée ;

  • le 11 août 1809, la cuisante défaite d’Almonacid est citée, il y a été blessé ;

  • le 19 novembre 1809, il en va de même pour le carnage d’Ocaña, où il est encore blessé ;

  • le 20 janvier 1810, il n’y a pas à rougir de la dispersion de la Sierra Morena, qui est citée, ainsi que de son arrestation à Grenade le 29 janvier 1810, pour laquelle il peut évoquer la promesse sur l’honneur de ne plus se battre contre les Français, qu’il a effectivement tenue par la suite.

Au total, on s’aperçoit que certains épisodes (Logroño, Uclés, Medellin) sont trop douloureux ou trop honteux, ne serait-ce que pour les officiers sous les ordres de qui François a servi, et qu’il préfère les évacuer soit de sa mémoire, soit de l’énumération qu’il en fait et ce, même si l’objectif est seulement d’appuyer sa demande d’intégration à l’armée française !

Nicole YRLE (écrivain) et Michel YRLE (amateur d'Histoire)

le 2 octobre 2018 à Perpignan

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François de Fossa et le muscat de Rivesaltes !

Voici ce qu’on peut lire au début d’une lettre adressée en octobre 1813 depuis Montauban par François de Fossa lui-même à sa sœur Thérèse, épouse de Joseph Campagne, restée dans la demeure familiale à Perpignan :

« [Ma lettre] te trouvera vraisemblablement à Rivesaltes chez notre aimable nièce que tu embrasseras de ma part. Tu me dis dans ta dernière que tu allais y passer quelques jours et je désire que les eaux te soient favorables ainsi qu'à mon pauvre petit filleul que j'apprends avec peine souffrir encore de ses yeux. Quant à moi si j'étais du voyage je vous laisserais à tous deux boire de l'eau dans un pays où c'est un meurtre d'en mettre dans son vin, et je tâcherais d'oublier à l'aide de quelques bouteilles de ce délicieux muscat que j'ai un bras dont je ne puis pas me servir aussi bien que de l'autre »

(Montauban le 10 octobre 1813)

Le petit filleul est le fils de Thérèse, François, alors âgé de 10 ans.

L’oubli teinté d’humour que notre musicien rechercherait dans un verre de muscat, est lié à un fâcheux accident de cheval survenu en juillet qui lui a valu une fracture du bras avec complications.

Quant à la nièce, c’est Thérèse Cabaner, épouse d’Antoine Jaubert, lui-même fils d’Angélique Campagne ; leur fille, Joséphine Jaubert, épousera en 1829 Bruno Magloire de La Fabrègue, ancêtre de M. Pierre-Henri de la Fabrègue, propriétaire-vigneron du Domaine de Rombeau, membre bienfaiteur de l’association « Les Amis de François de Fossa », jusqu’à son décès en juin 2020.

Un fac-simile de la première page de cette lettre fut offert à M. de La Fabrègue le 6 décembre 2016, à l’occasion d’une soirée littéraire et musicale présentée par Nicole Yrle et Juan Francisco Ortiz dans la très belle Salle des Vitraux du Domaine.

Nicole YRLE

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Qui était Sophie, l’épouse de François de Fossa ?

Lorsque le chef de bataillon, Chevalier de Saint-Louis, François de Fossa se maria, il avait déjà vécu un demi-siècle. Sa fiancée avait vingt-trois ans de moins que lui. Le mariage eut lieu à Strasbourg, le 29 décembre 1825. Trois ans plus tôt, le musicien avait eu la douleur de perdre sa sœur Thérèse. Aucune des femmes rencontrées jusque-là n’arrivait à la cheville de celle qu’il chérissait depuis l’enfance. Mais Sophie, manifestement, avait toutes les qualités requises et elle apporta le bonheur à François, lui que les épreuves n’avaient pas épargné depuis sa jeunesse.

Née le 18 Floréal an VI (7 mai 1798), la jeune épousée était la fille de feu Mansuy Vautrin, fabricant de chandelles installé à proximité de la cathédrale. Ce dernier était issu d’une famille lorraine de boulangers, catholique de génération en génération. Engagé volontaire dans le 9e bataillon de l’Ain révolutionnaire, Mansuy avait été élu officier par les soldats-citoyens ; envoyé à Strasbourg, le lieutenant des grenadiers y rencontra Marguerite, sa future femme, âgée de seize ans. Il quitta l’armée et l’épousa. La toute jeune femme, très vite mère d’un garçon, appartenait à une famille de riches blanchisseurs protestants, les Schwing. Sophie naquit deux ans plus tard et à quinze ans, elle perdit son père, mort prématurément d’une probable maladie professionnelle.

Mystérieuse Sophie… Nous n’avons d’elle aucun portrait et en sommes réduits à l’imaginer. Elle reçut certainement une éducation soignée. François de Fossa lui dédia, avant leur mariage, l’arrangement d’une sérénade de Beethoven et l’ouverture de l’opéra Le Calife de Bagdad de Boieldieu, ce qui prouve qu’elle jouait de la guitare, et certainement fort bien, car les pièces en question ne sont pas faciles. Plus tard, Dionisio Aguado composa pour l’épouse de son ami de Fossa Six petites pièces, techniquement complexes. Peut-être ressemblait-elle à la jeune femme qui posa pour le peintre Descours ?

L’alliance François de Fossa/Sophie Vautrin a de quoi surprendre et il n’est pas certain que Thérèse, en bonne descendante d’une famille catalane anoblie, catholique et monarchiste, l’aurait approuvée ! D’ailleurs l’armée à qui François de Fossa a dû demander l’autorisation de se marier, ne l’a pas accordée du premier coup ! Il fallut l’intervention d’un personnage haut placé, M. de Sainte-Suzanne, sans oublier que la tante de Sophie était la veuve de Jean Legrand, lieutenant-colonel, ancien commandant de la place de Belfort, couvert d’honneurs. En tout cas, François, qui avait vécu des changements considérables, jetait sans doute sur le monde un regard distancié et il a su apprécier en Sophie ce qui ferait d’elle l’épouse dont il rêvait.

Le couple connut un bonheur sans nuages, en témoigne ce très joli passage d’une lettre adressée par François à son neveu en 1827 :

« Depuis que j’existe, je n'ai jamais goûté une telle somme de bonheur. Tu ne le comprendras que lorsque tu auras toi-même uni ton sort à une femme qui partage tous tes goûts, toutes tes idées, car ce n'est que de cette manière qu'on est réellement duo in carne una ». Trois enfants naquirent, Victor (1826), Cécile (1827) et Laurent (1832). Le premier est né à Paris, la seconde à Besançon et le troisième à Romans : il est clair que Sophie a suivi son époux de garnison en garnison, ce qui n’était guère fréquent à une époque où les militaires changeaient d’affectation presque chaque année.

Autre fait notoire, l’aide efficace que Sophie apporta à son mari à la suite de la délicate affaire survenue à Salon dans la nuit du 28 au 29 juillet en 1839 : une altercation entre des soldats de son régiment et des bourgeois tourne mal, le capitaine d’astreinte cette nuit-là fait preuve de précipitation, agit sans réquisition de l’autorité civile et ne prévient le Major de Fossa que quand tout est fini avec un mort et plusieurs blessés, civils et militaires, à déplorer. De Fossa, après enquête, sanctionne des soldats et des officiers coupables de manquements graves. Mais il est désavoué par le Général et doit se défendre ! Là-dessus, il s’absente pour accompagner ses enfants, Cécile et Victor, futurs élèves à St Denis et à La Flèche. En son absence, une véritable cabale est montée contre lui au sein du régiment : on lui en veut de n’avoir pas fermé les yeux sur les exactions de camarades de corps et d’avoir pris le parti des bourgeois ! Sophie reçoit des instructions précises de son mari et s’en acquitte à merveille, portant une lettre au juge pour demander une enquête ciblée avec des témoins désignés qu’elle va voir un à un pour qu’ils disent « toute la vérité, rien que la vérité ». Seule une femme amoureuse, convaincue et intelligente comme l’était Sophie, a pu mener à bien pareilles actions. Avec son aide, François de Fossa s’en est tiré avec les honneurs et sans doute une grande amertume.

La carrière militaire du Major de Fossa s’acheva à Paris et c’est là qu’il mourut en 1849, laissant une veuve de cinquante et un ans et un fils de dix-sept ans. L’aîné, Victor était sous-officier en Guadeloupe, il mourut cinq ans après son père. Malgré l’opposition de sa mère, Cécile entra dans les ordres et mourut en 1868 au couvent de Bordeaux. Laurent, le petit dernier, embrassa lui aussi la carrière militaire mais c’était un joueur invétéré qui eut maille à partir avec la justice et dut démissionner de l’armée. Il est probable que son comportement donna bien des soucis à sa mère. Finit-il par s’assagir ? Peut-être… Il se maria et Sophie devint grand-mère.

Elle vécut jusqu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans et s’éteignit à Paris en 1889. Elle dort son dernier sommeil aux côtés de son mari, au cimetière du Montparnasse.

Nicole YRLE

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Thérèse de Fossa (1767-1823), une femme mystérieuse…

À notre connaissance, il n’existe aucun portrait de Thérèse, la sœur tant aimée de François de Fossa. Celui que possédait son frère, et qu’il évoque dans sa correspondance, a disparu... Elle aura à jamais le visage que chacun de nous lui donne et gardera donc son mystère.

Elle fut pour notre musicien bien plus qu’une sœur aînée... une marraine, une amie, une confidente, une conseillère, une correspondante privilégiée, et surtout elle représenta la femme idéale, celle qu’il chercha, des années durant, à retrouver à travers toutes celles qu’il courtisait, jusqu’à ce qu’il rencontrât Sophie, celle qui devint son épouse. Notons au passage que Thérèse était morte d’un cancer depuis près de trois ans quand le mariage eut lieu… Il n’écrira jamais plus à sa sœur chérie, qu’il appelait « Ma chère amie » puis « Ma bonne amie » dans toutes ses lettres...

À n’en pas douter, Thérèse était une femme de caractère, très pieuse et musicienne, qui vouait une affection sans bornes à son frère. On l’imagine séduisante et intelligente. Elle fut manifestement une épouse et mère modèle. Son mari, Joseph Campagne, lui survécut dix-sept ans et jamais ne la remplaça.

Comment se fait-il qu’aucune des partitions de FRANÇOIS parvenues jusqu’à nous ne lui soit dédiée ? Un autre mystère, car, nous le savons, elle aussi avait appris la guitare : «[...] ta fille s’exerce à la guitare pour te régaler », écrivait leur mère à son mari, alors à Paris, en août 1785. Plus tard, c’est avec une de ses guitares que sa fille Thérésette apprendra les premiers rudiments de cet instrument… À moins qu’un jour ne réapparaisse, après avoir dormi dans un tiroir, un grenier, ou au milieu d’un monceau de partitions oubliées, celle que son frère composa pour elle, en pensant à elle ?

Nous devons beaucoup à Thérèse de Fossa, devenue Mme Campagne, puisque ce sont les 572 lettres que François de Fossa lui adressa en 27 ans qui constituent la principale source de ce que nous savons de lui. En revanche, nous ne possédons qu’une seule lettre-réponse de sa main, datée du 8 septembre 1820, dans laquelle elle lui enjoint de venir passer son congé d’officier à Perpignan : « […] je ne veux point être privée de t’avoir six mois auprès de moi, peut-être sera-ce la dernière fois que nous nous réunirons, ainsi point de raison, tu passeras les six mois ou je ne t’aimerais plus de ma vie de vouloir ainsi m’affliger. »

On vous le disait, une femme de caractère !

Nicole YRLE

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François de Fossa en Bordelais

Venant de Moulins dans l’Allier, sa première affectation au service du roi de France, le capitaine de Fossa s’est ensuite retrouvé en garnison à Bordeaux, où il arrive début septembre 1816, à la tête d’une compagnie. Il restera en Bordelais jusqu’en octobre 1817 et de là, il rejoindra Perpignan pour y passer son semestre de repos.

Quelques jours après son arrivée, il est envoyé au fort de Blaye à sept lieues de Bordeaux ; accueilli par le commandant de la citadelle, qu’il trouve charmant, il s’y plaira beaucoup. Son logement chez madame Peyrotte est agréable, il donne sur le quai promenade qui longe l’estuaire de la Garonne. En revanche, les nombreuses allées et

venues pour raisons de service entre le fort de Blaye et la caserne de Bordeaux lui pèseront toujours.

Durant ses loisirs à Blaye, il fréquente les salons de madame Blay et madame de Marguerit qui ont de la famille à Perpignan et ont bien connu Thérèse, sa sœur, mariée à Joseph Campagne. Leurs salons sont connus et on y apprécie la musique.

À Bordeaux, on a chargé le capitaine de Fossa d’organiser la musique du régiment et il écrit des arrangements pour les musiciens, dont malheureusement la trace n’a pas été retrouvée. Il trouve la ville belle mais il s’y ennuie. Non loin du Grand Théâtre, il fréquente la boutique d’un facteur d’instruments de musique qui vend aussi des partitions, François Parisot. Il fait la connaissance de Pierre Galin, un mathématicien qui a écrit une méthode d’enseignement de la musique qui séduira François de Fossa, au point qu’il la citera à plusieurs reprises dans les années qui suivent. Ensemble, ils assistent à des concerts dans le prestigieux Grand Théâtre de la ville, à l’acoustique remarquable.

De retour de la Campagne des Cent Mille Fils de Saint-Louis en Espagne, François de Fossa repassera brièvement par Bordeaux en janvier 1825, et rendra visite à son ancien protecteur en exil, Miguel José de Azanza, qui fut vice-roi du Mexique : il habite avec sa femme rue des Carmélites, dans une petite maison, où il terminera ses jours. Depuis un an, le peintre Goya vit aussi à Bordeaux, sur le cours de Tourny, mais François de Fossa n’aura pas l’occasion de le rencontrer. Il est en route pour la garnison de Tours.

Nicole YRLE

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