Qui était Sophie, l’épouse de François de Fossa ?

Lorsque le chef de bataillon, Chevalier de Saint-Louis, François de Fossa se maria, il avait déjà vécu un demi-siècle. Sa fiancée avait vingt-trois ans de moins que lui. Le mariage eut lieu à Strasbourg, le 29 décembre 1825. Trois ans plus tôt, le musicien avait eu la douleur de perdre sa sœur Thérèse. Aucune des femmes rencontrées jusque-là n’arrivait à la cheville de celle qu’il chérissait depuis l’enfance. Mais Sophie, manifestement, avait toutes les qualités requises et elle apporta le bonheur à François, lui que les épreuves n’avaient pas épargné depuis sa jeunesse.

Née le 18 Floréal an VI (7 mai 1798), la jeune épousée était la fille de feu Mansuy Vautrin, fabricant de chandelles installé à proximité de la cathédrale. Ce dernier était issu d’une famille lorraine de boulangers, catholique de génération en génération. Engagé volontaire dans le 9e bataillon de l’Ain révolutionnaire, Mansuy avait été élu officier par les soldats-citoyens ; envoyé à Strasbourg, le lieutenant des grenadiers y rencontra Marguerite, sa future femme, âgée de seize ans. Il quitta l’armée et l’épousa. La toute jeune femme, très vite mère d’un garçon, appartenait à une famille de riches blanchisseurs protestants, les Schwing. Sophie naquit deux ans plus tard et à quinze ans, elle perdit son père, mort prématurément d’une probable maladie professionnelle.

Mystérieuse Sophie… Nous n’avons d’elle aucun portrait et en sommes réduits à l’imaginer. Elle reçut certainement une éducation soignée. François de Fossa lui dédia, avant leur mariage, l’arrangement d’une sérénade de Beethoven et l’ouverture de l’opéra Le Calife de Bagdad de Boieldieu, ce qui prouve qu’elle jouait de la guitare, et certainement fort bien, car les pièces en question ne sont pas faciles. Plus tard, Dionisio Aguado composa pour l’épouse de son ami de Fossa Six petites pièces, techniquement complexes. Peut-être ressemblait-elle à la jeune femme qui posa pour le peintre Descours ?

L’alliance François de Fossa/Sophie Vautrin a de quoi surprendre et il n’est pas certain que Thérèse, en bonne descendante d’une famille catalane anoblie, catholique et monarchiste, l’aurait approuvée ! D’ailleurs l’armée à qui François de Fossa a dû demander l’autorisation de se marier, ne l’a pas accordée du premier coup ! Il fallut l’intervention d’un personnage haut placé, M. de Sainte-Suzanne, sans oublier que la tante de Sophie était la veuve de Jean Legrand, lieutenant-colonel, ancien commandant de la place de Belfort, couvert d’honneurs. En tout cas, François, qui avait vécu des changements considérables, jetait sans doute sur le monde un regard distancié et il a su apprécier en Sophie ce qui ferait d’elle l’épouse dont il rêvait.

Le couple connut un bonheur sans nuages, en témoigne ce très joli passage d’une lettre adressée par François à son neveu en 1827 :

« Depuis que j’existe, je n'ai jamais goûté une telle somme de bonheur. Tu ne le comprendras que lorsque tu auras toi-même uni ton sort à une femme qui partage tous tes goûts, toutes tes idées, car ce n'est que de cette manière qu'on est réellement duo in carne una ». Trois enfants naquirent, Victor (1826), Cécile (1827) et Laurent (1832). Le premier est né à Paris, la seconde à Besançon et le troisième à Romans : il est clair que Sophie a suivi son époux de garnison en garnison, ce qui n’était guère fréquent à une époque où les militaires changeaient d’affectation presque chaque année.

Autre fait notoire, l’aide efficace que Sophie apporta à son mari à la suite de la délicate affaire survenue à Salon dans la nuit du 28 au 29 juillet en 1839 : une altercation entre des soldats de son régiment et des bourgeois tourne mal, le capitaine d’astreinte cette nuit-là fait preuve de précipitation, agit sans réquisition de l’autorité civile et ne prévient le Major de Fossa que quand tout est fini avec un mort et plusieurs blessés, civils et militaires, à déplorer. De Fossa, après enquête, sanctionne des soldats et des officiers coupables de manquements graves. Mais il est désavoué par le Général et doit se défendre ! Là-dessus, il s’absente pour accompagner ses enfants, Cécile et Victor, futurs élèves à St Denis et à La Flèche. En son absence, une véritable cabale est montée contre lui au sein du régiment : on lui en veut de n’avoir pas fermé les yeux sur les exactions de camarades de corps et d’avoir pris le parti des bourgeois ! Sophie reçoit des instructions précises de son mari et s’en acquitte à merveille, portant une lettre au juge pour demander une enquête ciblée avec des témoins désignés qu’elle va voir un à un pour qu’ils disent « toute la vérité, rien que la vérité ». Seule une femme amoureuse, convaincue et intelligente comme l’était Sophie, a pu mener à bien pareilles actions. Avec son aide, François de Fossa s’en est tiré avec les honneurs et sans doute une grande amertume.

La carrière militaire du Major de Fossa s’acheva à Paris et c’est là qu’il mourut en 1849, laissant une veuve de cinquante et un ans et un fils de dix-sept ans. L’aîné, Victor était sous-officier en Guadeloupe, il mourut cinq ans après son père. Malgré l’opposition de sa mère, Cécile entra dans les ordres et mourut en 1868 au couvent de Bordeaux. Laurent, le petit dernier, embrassa lui aussi la carrière militaire mais c’était un joueur invétéré qui eut maille à partir avec la justice et dut démissionner de l’armée. Il est probable que son comportement donna bien des soucis à sa mère. Finit-il par s’assagir ? Peut-être… Il se maria et Sophie devint grand-mère.

Elle vécut jusqu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans et s’éteignit à Paris en 1889. Elle dort son dernier sommeil aux côtés de son mari, au cimetière du Montparnasse.

Nicole YRLE

Nicole Yrle

Née par hasard à Lyon il y a… un certain nombre d’années, j’ai longtemps habité dans la région parisienne où j’ai travaillé et élevé mes deux fils. J'ai vécu vingt-huit ans à Perpignan, avec l’homme de ma vie. Désormais, nous habitons à Prades, face au Canigou.

Professeur de Lettres classiques, j’ai aimé partager mon amour de la littérature avec des jeunes. Ma première publication fut le résultat d’un travail à quatre mains avec une amie : un livre destiné aux classes de lycée, Lire à plaisir, suivi d’un autre pour les professeurs, tous deux publiés aux éditions Ellipses. Mais c’est de l’histoire ancienne ! Désormais davantage tournée vers une inspiration plus personnelle, je consacre une grande partie de mon temps à l’écriture de récits, de nouvelles et de romans.

Je suis lauréate du Grand Concours Littéraire du Monde Francophone 2008 organisé par l’Académie Poétique et Littéraire de Provence, pour une nouvelle, Éblouissement, et pour le récit Nous nous sommes tout dit.

Les Vendanges littéraires de Rivesaltes ont décerné leur Prix Odette Coste 2022 à mon roman Libres Esclaves.

Grande admiratrice du poète René Char, j’ai choisi ma devise dans Les feuillets d’Hypnos : « Ne te courbe que pour aimer ».

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