François de Fossa : Guitariste-compositeur par vocation, Militaire par nécessité...

La famille du guitariste-compositeur François de Fossa est représentative de la société roussillonnaise du XVIII-ème, avec une ascension sociale par le mérite, depuis l’ancêtre, cloutier à Saint- Laurent-de-Cerdans au XVII-ème siècle jusqu’à François Fossa père, professeur de droit, doyen et recteur de l’Université de Perpignan.

François de Fossa est parti en exil sous la Terreur, alors qu’il commençait son droit. En Espagne et au Mexique, il surmonte les épreuves avec une force de caractère peu commune et continue à apprendre en autodidacte le castillan et l’anglais,

le dessin et les mathématiques. Il poursuit le rêve de se consacrer à la musique, mais pour une question de survie, il entame une carrière militaire poursuivie en France à son retour.

Il sera influencé par la philosophie des Lumières : la bibliothèque de son père contenait des œuvres majeures, Azanza, son protecteur, en était imprégné.

Toute sa vie, François de Fossa, homme d’honneur fidèle à ses idéaux, déteste l’arbitraire et le clientélisme. Élevé dans un milieu monarchiste, il devient partisan d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise. Sans préjugés, il épouse la fille d’une protestante et d’un engagé volontaire dans l’armée révolutionnaire.

Décoré de la Légion d’Honneur, il verra sa fille entrer à l’École de la Légion d’Honneur et son fils cadet à Saint-Cyr.

Il fut « un très grand monsieur qui rejoint enfin le panthéon des très grands musiciens du monde. » (Jacques Queralt)

Sur les pas de François de Fossa

1775 : Naissance le 31 août à Perpignan de François de Paule Jacques Raymond, fils de François Fossa, jurisconsulte et doyen de l’Université, et Thérèse Beauregard. Louis XVI anoblira le père en 1786.

1793 : Les Bourbons d’Espagne envahissent le Roussillon. Révolté par l’exécution de Louis XVI, François s’engage à 17 ans dans l’armée des émigrés en lutte contre les forces révolutionnaires.

1795 : Après la signature du traité de Bâle entre les deux pays, il quitte l’armée mais choisit de rester en Espagne.

1797 : Il est à Cadix avec Miguel de Azanza, ministre de la Guerre du roi d’Espagne, futur vice-roi du Mexique, qu’il accompagnera comme page et secrétaire. En attendant le départ, il copie ou compose de la musique et joue pour son protecteur et les jeunes filles qu’il courtise.

1798 : Il arrive au Mexique sous le nom de Francisco Fosa afin de se faire passer pour un Espagnol.

1798-1803 : Il s’engage dans l’armée comme Cadet-Gentilhomme et devient sous-lieutenant à Acapulco.

1803-1808 : Revenu en Espagne, François connait le dénuement. Pour plaire à une andalouse, il démissionne de l’armée. Il vit d’une maigre pension militaire. Il joue de la guitare dans les salons, copie de la musique et compose un quatuor.

1808 : Azanza, au service de Ferdinand VII à Madrid, offre à François un second emploi de secrétaire. Quand Napoléon impose son frère Joseph comme roi d’Espagne, Azanza reste à son service. Peu après, Francisco Fosa rallie l’armée espagnole en lutte contre Napoléon.

1809 : Formateur au régiment de Jaén, il est blessé deux fois.

1810 : Prisonnier des Français à Grenade en janvier, il risque d’être fusillé. Azanza le sauve de justesse, il devient son chef de bureau au Ministère des Indes.

1813 : Il rentre en France avec les vaincus de l’armée napoléonienne, le roi Joseph et Azanza. Redevenu François de Fossa mais refugié sans ressources, il est semblable à un émigré espagnol. Une chute de cheval le handicape puis il rejoint Azanza et l’accompagne à Paris.

1814 : François vit avec Azanza et reçoit une petite aide financière des pouvoirs publics. Il cherche en vain à entrer dans l’armée.

1815 : Au début des Cent Jours, François s’enrôle dans les Volontaires Royaux de Vincennes. Ce court engagement lui permettra après la Seconde Restauration de faire valoir sa fidélité aux Bourbons. Décoré de l’Ordre de Saint Louis, il est nommé capitaine dans l’armée royale.

1816 : Après une première affectation à Moulins, François mène une vie itinérante de garnison en garnison.

1819-1820 : François de Fossa commence à rédiger un Essai de Théorie Musicale jamais achevé.

1822 : À Strasbourg, il est Rapporteur du Tribunal Militaire, lors d’une affaire qui fit grand bruit.

1823 : Son activité musicale est intense. Il publie en France et en Allemagne, fréquente des compositeurs.

1823-25 : Il participe à l’expédition des Cent mille Fils de Saint-Louis, destinée à rétablir sur le trône d’Espagne Ferdinand VII. Il commande une place-forte en Catalogne puis est promu Chef de bataillon et envoyé à Madrid jusqu’en janvier 1825, avant de rentrer en France. En 1824, il a reçu du roi d’Espagne la Croix de l’Ordre de Saint-Ferdinand.

1825 : À 50 ans, François de Fossa épouse à Strasbourg Sophie Vautrin, ils auront trois enfants.

1826 : François de Fossa fait publier la Méthode pour guitare de l’Espagnol Dionisio Aguado, qu’il a lui-même traduite, l’enrichissant de notions capitales.

1837-1839 : À Salon-de-Provence, il fait face à des troubles graves lors d’une altercation entre la population et des soldats de son régiment.

1839 : Chevalier de la Légion d’Honneur depuis 1825, il est nommé Officier.

1844 : Il prend sa retraite à Paris et s’installe 23 rue Copeau.

1849 : François de Fossa meurt chez lui le 3 juin à 73 ans.

1775-1813 Un jeune homme représentatif de toutes les époques

Né le 31 août 1775 dans une famille bourgeoise de Perpignan, fils d’un éminent juriste, François est, dès l’enfance, promis à une carrière juridique. Très jeune, il perd sa mère et son père. Sa sœur ainée Thérèse devient sa confidente.

Élève brillant au Collège Royal, il entame des études de droit à l’Université. Mais pris dans ce qu’il nomme « l’orage révolutionnaire », il quitte à 17 ans sa ville natale et sa sœur, restée dans la maison familiale, rue Fontaine Na Pincarda.

C’est la Terreur, Louis XVI a été guillotiné en janvier, les Bourbon d’Espagne envahissent le Roussillon. François risque sous peu d’être concerné par la levée de troupes, il choisit de rallier l’armée contre-révolutionnaire des émigrés comme Volontaire distingué, dans la Légion Pannetier qu’il suit dans les neiges des Albères, puis s’embarque pour l’Espagne à Port-Vendres.

Commence un exil qui s’achèvera en 1813. Il apprend beaucoup et ses aventures sont nombreuses. En 30 ans il envoie à sa sœur 572 lettres, écrites dans un style châtié : elles nous révèlent ses épreuves, ses espoirs, au cœur d’évènements historiques, souvent tragiques, auxquels il est mêlé de près, car il vit des conflits majeurs comme la guerre d’indépendance des Espagnols. Son caractère impulsif, voire exalté, transparaît entre les lignes. Il voudrait tant se consacrer à la musique.

En proie à une « noire mélancolie », l’expression est de lui, il rêve d’aventures, de richesse et d’amour : ce sont les aspirations de jeunes d’hier et d’aujourd’hui.

Quand la paix intervient en 1795, il reste en Espagne. Un ami le présente au remarquable homme d’état Miguel de Azanza qui deviendra un second père pour lui.

L’aventure mexicaine

Fin 1796, Fossa suit à Cadix son protecteur nommé vice-roi du Mexique. Il s’appelle désormais Francisco Fosa, car afin de pouvoir partir pour le Nouveau Monde, il se fait passer pour Espagnol, le roi ayant interdit d’emmener des étrangers. Il parle et écrit parfaitement le français, le castillan et le catalan.

Dans la rade bloquée par les Anglais, une longue attente commence. Pauvre mais jeune et beau, il plaît aux jeunes filles. Dans les salons, tel celui d’Azanza, il joue de la guitare avec succès.

Le voyage en mer dure 39 jours : au Mexique où il arrive en mai le voici page et secrétaire :« Un page d’un vice-roi fait ici une assez jolie figure ; tout le monde lui fait bon accueil, chacun s’empresse à lui faire la cour ; avec un uniforme bleu de ciel à collet et parements jaunes galonnés en argent et une veste de même, la brette au côté et le chapeau sur l’oreille, il faut bien qu’on ait l’air de quelque chose. », écrit-il à sa sœur.

Il en avait rêvé du Mexique. Hélas, il déchante. Pour lui, le pays n’a pas évolué depuis la conquête il y a 200 ans; il parle de ce « chien de pays », où il est « aussi difficile de trouver une femme réellement aimable que d’arracher la lune avec les dents ». Celles qui le séduiront finalement seront des blanches venues d’Espagne ou descendantes d’émigrés espagnols !

Et surtout son statut de page-secrétaire qui s’éternise et sa maigre indemnité ne lui conviennent pas.

Seule solution : l’armée. Cadet dans la compagnie d’Acapulco, il est nommé sous-lieutenant et encadre la surveillance du port, bloqué par la flotte anglaise. En honnête homme épris de justice, il intervient auprès du gouverneur pour défendre un soldat accusé de désertion et un tambour condamné à tort aux arrêts. Les soldats l’apprécient, les officiers le respectent, mais il n’est pas heureux, il aspire de plus en plus au retour.

Les rêves déçus de François de Fossa sont ceux d’un jeune homme de tous les temps qui s’est fait des illusions.

Retour en Espagne, sa seconde patrie...

François de Fossa rentre en Espagne en 1803, malade et pauvre. Sans emploi, il vit d’une petite pension militaire. Il ne mange pas toujours à sa faim et évite de sortir pour économiser ses bottes aux semelles trouées. De plus, pour plaire à une femme, il a démissionné de l’armée et ne parvient pas à la réintégrer après avoir rompu avec la belle. Retourner en France ? Sa fierté l’en empêche car il pense qu’il serait à la charge de Thérèse, désormais mariée.

S’ajoute un amour profond pour l’Espagne, « sa seconde patrie ». Pourtant son statut personnel devient un handicap très lourd : « Il suffit d’être Français et surtout émigré pour trouver toutes les portes fermées. » Cinq ans passent, la chance lui sourit enfin : Ferdinand VII monte sur le trône, et appelle à son service Azanza qui lui propose de reprendre son emploi de secrétaire à Madrid.

Quand Napoléon impose son frère Joseph comme roi d’Espagne, Azanza décide de rester au service du peuple espagnol, malgré le changement de dynastie et parce que les souverains légitimes Charles et Ferdinand l’ont eux-mêmes accepté.

Pendant l’été, Fossa, qui a connu les sanglantes journées de mai, immortalisées par le peintre Goya, part rejoindre « la première armée espagnole rencontrée » en lutte contre l’armée impériale, celle de La Cuesta, aux défaites cuisantes, puis celle du général Castaños. Adjudant-major au régiment de Jaén, il est blessé deux fois en 1809.

Mélancolique et malchanceux

François de Fossa se trouve souvent au mauvais endroit au mauvais moment. Il en devient touchant. À Mexico en 1800 quand la terre tremble, il est à Cadix en 1805 lors de la défaite franco-espagnole de Trafalgar, à quelques encablures de là.

À Grenade en 1810, fait prisonnier sous l’uniforme espagnol par les Français, à deux doigts d’être fusillé, il est sauvé de justesse par Azanza. Il entre alors au service du roi Joseph, au Ministère des Indes que dirige son protecteur.

François est un romantique avant la lettre, en proie à cette « mélancolie » qui marquera toute une génération. On pense à Chateaubriand, à cause de leurs emportements analogues et de l’amour fraternel que tous deux ont éprouvé pour une sœur. François de Fossa le tourmenté est représentatif du courant intellectuel et artistique de son temps.

Au fil des années, il a été influencé par la philosophie des Lumières, celle de Rousseau qu’il a lu, d’Azanza, grande figure de la Franc-Maçonnerie. Dans la bibliothèque de son père figuraient des ouvrages de Fontenelle, Diderot, Voltaire...

Après 1813, la maturité

François de Fossa rentre tristement en France en juin 1813, avec les troupes napoléoniennes défaites, le roi Joseph et son entourage. Cruel paradoxe, il devient un réfugié sans ressources dans son pays natal, tel un émigré espagnol. Une chute de cheval lui vaut une fracture du bras droit qui le laisse en partie handicapé. À force de ténacité, il se rééduque lui-même. L’idée de ne plus pouvoir jouer de la guitare ne pouvait être qu’insupportable.

À 37 ans, il aspire à une stabilité perdue depuis longtemps.

Fataliste, il en appelle aux Écritures et privilégie la sagesse : « Toute ma philosophie consiste à me garantir de toutes les fortes passions. »

Sans perspectives d’avenir en France, son vœu le plus cher est de retourner en Espagne avec Azanza : « Je suis devenu Espagnol de toute la force du terme et je mourrai Espagnol si on m’en laisse le choix. » En 1814 le rétablissement sur le trône d’Espagne de Ferdinand VII fait naître une lueur d’espoir, vite éteinte car le roi bannit sous peine de mort tous ceux qui ont servi Joseph.

Arrive la Restauration : François de Fossa songe à partir pour l’Angleterre, un pays qu’il admire et dont il a appris la langue, mais ses démarches n’aboutissent pas. Devenu partisan d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise, il s’écarte nettement des positions familiales et loue la charte de Louis XVIII, « marquée au coin de la sagesse, à la hauteur des lumières de notre siècle ». Il a toujours manifesté son horreur de l’arbitraire, des courtisans et du clientélisme. Il n’hésite pas à écrire : « ...quant aux droits prétendus d’une famille plutôt que d’une autre à un trône quelconque, je n’en reconnais point. Aucune nation ne peut être l’apanage ni le patrimoine d’une famille. C’est en vertu d’un pacte social que tous les monarques ont commencé de régner. »

Au contact direct de plusieurs régimes politiques en Espagne et en France, il a acquis de l’expérience et remet en cause ce qui lui a été inculqué dans sa jeunesse.

Une fois encore, François de Fossa ne voit pas d’autre alternative que l’armée pour un avenir stabilisé. Plusieurs tentatives échouent. Mais au moment du débarquement de Napoléon en mars 1815, il s’enrôle dans les Volontaires Royaux de Vincennes, prêts à se battre pour le roi en fuite. Son bref engagement lui permet, au début de la Seconde Restauration, de faire valoir sa fidélité aux Bourbon, y compris avant les Cent Jours. Il met en avant ses services, en France en 1793 puis en Espagne sous deux rois.

Certes, il préfèrerait se consacrer à la musique, mais ses choix, a-t-il écrit, lui ont toujours été dictés par la raison, son sens du devoir et de l’honneur.

Fin 1815, décoré de l’Ordre royal et militaire de Saint Louis, il est nommé capitaine. Il restera militaire de carrière jusqu’à la fin de ses jours. Sur son portrait on voit cette décoration, celle qu’il recevra plus tard en Espagne et sa Légion d’Honneur.

1816-1822, vie de garnison et musique

Après sa première garnison à Moulins, François de Fossa fait le tour de la France de 1816 à 1822. À Bordeaux, il a peut-être rencontré Pierre Galin, auteur d’une Nouvelle méthode pour l’enseignement de la musique, qu’il juge remarquable, il en recommande l’usage pour sa nièce. Lui-même a des projets pédagogiques en tête.

À Lyon où il reste un an et demi, il entend parler de Benoîte Delaforest, professeur de chant qui utilise avec succès cette méthode. Elle est la seule dans toute la ville, les autres n’y comprennent rien ! Il lui dédie Quatre divertissements.

Les années 1815 et suivantes sont complexes, les troubles en tout genre ne manquent pas. Notre musicien-militaire, confronté à des difficultés majeures, se trouve à nouveau au cœur de l’événement, par exemple en 1822 à Strasbourg où il est rapporteur au Conseil de guerre.

Manipulé par un général, il obtient la condamnation à mort d’un homme, réhabilité plus tard. On imagine ce qu’il éprouve en découvrant qu’on l’a empêché de bâtir une accusation objective. Période sombre car, au même moment, sa sœur est mourante. François retourne à Perpignan juste après cet épisode tragique, et perd sa sœur adorée en janvier 1823.

Retour en Espagne avec les « cent mille fils de Saint Louis »

En février, Fossa prend part à l’expédition des Cent mille fils de Saint Louis, destinée à rétablir sur le trône d’Espagne Ferdinand VII, roi médiocre auquel il reproche ses parjures et ses mesures iniques, dont le rétablissement de l’Inquisition. Il obéit aux ordres, déchiré́ d’avance par les nouvelles souffrances que va subir l’Espagne. Il est encore emporté dans les remous de l’Histoire, sans l’avoir vraiment voulu.

D’abord commandant d’une place-forte en Catalogne, il est envoyé à Madrid comme chef de bataillon. C’est là qu’il rencontre le grand guitariste D. Aguado qui, à Paris, deviendra un ami intime. Il rentre d’Espagne début 1825 et permutera ses fonctions avec celles de major, grade qui sera toujours le sien à sa retraite.

Les joies de la famille

Thérèse a été pour François plus qu’une sœur : il lui a comparé toutes les femmes rencontrées. Dans sa jeunesse, il a multiplié les conquêtes amoureuses. Plusieurs projets de mariage se sont ébauchés, aucun n’a abouti. Juanita, connue avant son départ au Mexique, comptera pour lui mais au terme d’une relation tumultueuse de huit ans, il rompt définitivement.

Est-ce un hasard si F. de Fossa ne s’est marié qu’en 1825, trois ans après la mort de Thérèse ? À Strasbourg, il épouse Sophie Vautrin, âgée de 27 ans. C’est une guitariste accomplie, car François de Fossa lui dédie deux œuvres avant leur mariage et Aguado aussi lui dédie des pièces techniquement complexes. Cette union avec une protestante surprend car les de Fossa étaient de fervents catholiques. En 1827 il écrit à son neveu « n’avoir jamais goûté une telle somme de bonheur, ayant uni son sort à une femme qui partage tous ses goûts, toutes ses idées, au point d’être duo in carne una (deux dans une seule chair). »

Cette épouse aimante le suit de garnison en garnison, ce qui est rare.

Il est piquant de constater qu’un descendant de monarchiste a épousé la fille d’un marchand de chandelles, engagé dans l’armée révolutionnaire! Sans préjugés, F. de Fossa est à même d’apprécier les qualités d’une jeune fille dont il fait sa femme et la mère de ses enfants, nés entre 1826 et 1832.

1830, des années difficiles

Si François de Fossa connaît de vrais moments de bonheur, il est néanmoins confronté à des situations délicates, en particulier dans les années 1830 :

–À Gap, où il commande la garnison, éclatent des troubles liés aux Trois Glorieuses à Paris. Il redoute les excès des ultraroyalistes. Le maintien de l’ordre est pour lui un devoir. La surveillance dissuasive qu’il met en place et le sang- froid de son troisième bataillon en imposent. Quand Louis-Philippe est proclamé roi des Français, François de Fossa est chaudement remercié par le préfet pour son précieux concours.

– À Salon-de-Provence, absent de la garnison, il est calomnié et atteint dans son honneur. D’après une lettre à sa femme et des documents de justice, elle s’est dévouée avec intelligence pour lui venir en aide. Voilà qui éclaire la personnalité de F. de Fossa, tourmenté mais sincère et fidèle à ses idéaux. Son tempérament d’artiste le condamnait-il à une forme d’idéalisme, sa naïveté l’exposait-elle à des pièges ?

Après son mariage, François de Fossa a publié nombre d’œuvres, en France et en Allemagne. En 1838, il a dédié à Aguado qui repartait dans son pays un émouvant morceau, Recuerdo.

En relation avec des compositeurs de son époque, il a connu Fernando Sor, le Catalan de Barcelone, l’Italien Carulli, le violoncelliste Baxmann... En garnison à Besançon, Fossa rencontra sans doute Salomon, l’inventeur de la harpolyre, car il lui dédia Six divertissements pour la harpolyre et on retrouve cet étonnant instrument dans sa succession.

François de Fossa termine sa carrière d’officier à Paris en 1843 et y prend sa retraite à 69 ans. Il habite 23 rue Copeau, près du Jardin du Roi. Après avoir échappé à des périls en tout genre, il est mort à 73 ans, le 3 juin 1849, probablement du choléra.

Musicien dans l’âme

François de Fossa porta l’habit militaire 50 ans durant par nécessité. Les évènements l’ont empêché de faire carrière dans la musique.

Supprimant ses autres prénoms de naissance, il a signé ses œuvres « François de Fossa ».

Sans être guitariste, on en perçoit l’originalité, la richesse, la modernité. Enfant, il a étudié la guitare avec un professeur, mais il s’est ensuite perfectionné seul, apprenant aussi l’art de la composition et devenant capable d’écrire pour le piano forte, le violon et le violoncelle.

Nous n’avons en France aucun manuscrit de sa musique. Ont été retrouvés en Californie des partitions et les manuscrits de trois trios et trois quatuors. D’autres sont dispersés en Europe.

La musique a toujours habité François de Fossa, même dans les pires moments. En 1795, il demande à Thérèse de lui envoyer sa guitare et des cahiers de musique. À Cadix, il renouvelle les cordes de son instrument ; bien que pauvre, il achète pour huit douros une autre guitare, peut-être à cinq cordes doubles.

Il joue pour les Andalouses et chez Azanza, il joue durant le voyage en bateau pour le Mexique : « Notre principal amusement à bord, ou le seul pour ainsi dire, est de faire de la musique ; nous avons pour cela tous les moyens possibles car nous avons des amateurs de violon, d’alto, de flûte, de basse et de guitare. Le vice-roi en est on ne peut plus satisfait, et nous charmons ainsi les ennuis de l’embarcation. »

À son retour, il compose ce qu’il jouera en 1808 à Madrid, avec des musiciens de la chapelle du Roi : « Une œuvre de quatuor que je fis entendre ici fut reçue avec enthousiasme : on m’a prodigué des éloges ; on m’a appelé le Haydn de la guitare. ». Il a alors espéré vivre de sa musique et sa déception fut forte.

Il aime la nouveauté. En France, il commande pour sa nièce chez un luthier de Lyon une guitare qui évoque une lyre: il la juge « d’une nouvelle forme, très sonore et infiniment plus commode que l’ancienne » Il compose des divertissements pour la harpolyre, aux 21 cordes réparties sur trois manches. Sur une partition de 1822, il mentionne l’usage du métronome – récemment mis au point.

Il écrit des arrangements de Haydn, Beethoven, Mozart, il recopie des quintettes de Boccherini qui nous sont parvenus grâce à lui ; son découvreur moderne a affirmé qu’il a apporté sa propre touche à la partition de l’Italien. Enfin François de Fossa compose des œuvres personnelles qu’il veut « modernes ».

Conclusion : l’héritage de François de Fossa

J. Queralt, critique d’art, a vu en lui un compositeur majeur du XIX-ème siècle. Pour le guitariste Francisco Ortiz, l’oubli de son œuvre s’explique par sa très grande difficulté technique.

On ne peut passer sous silence sa surprenante destinée après sa mort. Dans l’inventaire après décès, figure une collection de manuscrits qui comprenait certainement les écrits de son père, et ses propres œuvres. Or son fils cadet se trouve aux Etats-Unis en 1880, couvert de dettes. Il est très probable qu’il a monnayé les manuscrits de son père en sa possession. Matanya Ophee, musicologue et éditeur de musique, a pu en récupérer d’autres dispersés dans toute l’Europe et les publier.

François de Fossa, guitariste et compositeur de génie, n’a pas eu de chance.

Homme à la fois ordinaire et exceptionnel, il a vécu à une époque charnière en Europe, sur le plan historique, celui des idées et de la société.

Désormais tiré de l’oubli, il est joué dans le monde entier.

N.Yrle

Quelques œuvres de François de Fossa

Guitare solo et duos

Arrangements

  • Tyrolienne variée

  • Thème varié, et Huit Valses choisies de Mozart

  • Troisième Fantaisie sur un thème de Beethoven

  • Cinquième Fantaisie sur l’air des Fantaisies d’Espagne - Quatre divertissements, d’après Haydn

  • Neuf Grands Duos sur des musiques de Haydn.

Œuvres originales

  • Première Fantaisie

  • Vingt-quatre Divertissements

  • Les Adieux à l’Espagne

  • Recuerdo

  • Six divertissements pour harpolyre

Musique de chambre

Arrangements

  • Duo concertant pour piano forte et guitare : ouverture d’un opéra de Rossini

  • Duo concertant pour piano et guitare : ouverture du Barbier de Séville

Œuvres originales

  • Trois trios concertants pour violon, guitare et violoncelle

  • Trois Quatuors pour deux guitares ou alto et guitare, violon et violoncelle

Nicole Yrle

Née par hasard à Lyon il y a… un certain nombre d’années, j’ai longtemps habité dans la région parisienne où j’ai travaillé et élevé mes deux fils. J'ai vécu vingt-huit ans à Perpignan, avec l’homme de ma vie. Désormais, nous habitons à Prades, face au Canigou.

Professeur de Lettres classiques, j’ai aimé partager mon amour de la littérature avec des jeunes. Ma première publication fut le résultat d’un travail à quatre mains avec une amie : un livre destiné aux classes de lycée, Lire à plaisir, suivi d’un autre pour les professeurs, tous deux publiés aux éditions Ellipses. Mais c’est de l’histoire ancienne ! Désormais davantage tournée vers une inspiration plus personnelle, je consacre une grande partie de mon temps à l’écriture de récits, de nouvelles et de romans.

Je suis lauréate du Grand Concours Littéraire du Monde Francophone 2008 organisé par l’Académie Poétique et Littéraire de Provence, pour une nouvelle, Éblouissement, et pour le récit Nous nous sommes tout dit.

Les Vendanges littéraires de Rivesaltes ont décerné leur Prix Odette Coste 2022 à mon roman Libres Esclaves.

Grande admiratrice du poète René Char, j’ai choisi ma devise dans Les feuillets d’Hypnos : « Ne te courbe que pour aimer ».

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