Au travers des articles ci-après, découvrez la vie et le parcours de François de Fossa mais aussi son époque, ses contemporains, et comment il a été redécouvert.

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Matanya Ophee (1932-2017) : une vie pour la musique de guitare

À travers  le monde, de nombreuses personnes  se souviennent de Matanya Ophee, mais leurs idées diffèrent sur lui. Il était actif dans de nombreux domaines ainsi qu’à propos de  divers personnalités.
 

La communauté mondiale des collectionneurs, savants et interprètes de guitare se souvient de Matanya pour sa contribution précieuse à notre connaissance de l'histoire de la guitare, de sa musique et de ses compositeurs. Le prix de leadership industriel 2011 qu'il reçut de la part de la Guitar Foundation of America est éloquent. Il y a tout juste un an, à l'été 2017, il a été distingué Président Honoraire de l'association Les Amis de François de Fossa, qui  met en valeur le compositeur-guitariste dont la notoriété récente s'est imposée grâce à la découverte et aux recherches de Matanya.


D'autres se souviennent de lui en tant que camarade pilote pendant de nombreuses années au sein de la grande compagnie US Airways. Ceux qui vivent depuis longtemps dans sa Jérusalem natale se souviennent peut-être d'un adolescent joyeux vendant des livres au porte à porte dans les années 1940, d'un opérateur de presse d’imprimerie ou d'un chauffeur de camion 18 roues.

Sa vie fut vraiment extraordinaire. Pilote de combat dans l'armée israélienne, en 1956 il a survécu à la campagne du Sinaï (lors de l'Opération Kadesh). Devenu un guitariste classique, il a développé un talent de chercheur passionné des trésors oubliés des répertoires de guitare européens post-napoléoniens et a créé la société d'éditions de musique de guitare de renommée mondiale – les Éditions Orphée. Il est l'auteur de nombreux articles dans diverses langues et d’un livre fondamental sur l'histoire de la musique pour guitare : Essays on guitar history livre extrêmement intéressant et prenant, contribution majeure dans le domaine de la guitare. L’homme a appris le russe juste en ayant lu Le Maître et Marguerite de Mikhail Bulgakov dans sa version originale !

La découverte de François de Fossa était l’un de ses projets les plus importants, celui qu’il chérissait le plus. Il n’y a guère de précédent dans la recherche musicale. Chaque chercheur serait heureux de trouver une composition inconnue ou une lettre d'un compositeur. Mais retrouver un compositeur entièrement méconnu et restaurer sa biographie et son travail créatif est une chance difficile à croire, une combinaison rare de vastes connaissances, de capacités de recherche audacieuses, d'instincts et de trouvailles qui récompense un héros aventureux. Sa curiosité sans bornes l'a amené à Perpignan, où il a découvert l'histoire de la famille de Fossa et vingt-sept ans de  correspondance du compositeur avec sa sœur Thérèse Campagne, 300 lettres - encore une chance inouïe. Toutes ses connaissances se sont accumulées parallèlement à des informations sur les éditeurs de musique, aux catalogues de bibliothèques et aux annonces de ventes aux enchères, ainsi qu'à des comparaisons graphologiques d'écrits afin d'identifier le copiste ou le possesseur, des juxtapositions de dates et de lieux de toutes les personnalités de son histoire, etc. Comme il le disait souvent à propos de ses recherches, il souhaitait s'identifier aux objets de ses investigations et se sentir comme s'il avait vécu à côté d'eux. Quoi qu’il en soit, l’étude minutieuse de centaines de livres dans des bibliothèques et des archives musicales du monde entier a permis à Matanya de construire la biographie de De Fossa et de rassembler la quasi-totalité de ses compositions jamais mentionnées jusqu’alors. Il les a toutes publiées.

De Fossa, un grand amateur de Luigi Boccherini, a également conduit Matanya Ophee à la découverte de son œuvre. Compositeur italien, auteur de nombreuses œuvres de qualité et populaires, notamment pour guitare, Boccherini était très en vogue. Il a réalisé lui-même de nombreux arrangements de ses œuvres pour différents ensembles instrumentaux et a souvent réutilisé les mouvements préférés de ses différentes pièces dans de de nouvelles compositions musicales. Ses clients en étaient très heureux, mais pour les chercheurs, c’est un sacré défi de cataloguer ses travaux et de comprendre les correspondances entre tel mouvement et telle composition originale. Matanya a également contribué à cette recherche. En fouillant dans les archives de Perpignan, Paris et Madrid, il a retracé la correspondance entre Louis Picquot, un collectionneur passionné des manuscrits de Boccherini et de sa biographie, et la marquise de Benavent, l’une de ces nobles ayant commandé divers arrangements à Boccherini.

Fernando Sor – le plus célèbre compositeur français de guitare du XIXe siècle – fut un autre objet de recherche de Matanya. C'était un grand défi. En tant qu'éditeur, Matanya a toujours fourni les informations sur les œuvres qu'il a publiées. Mais il est apparu que les premières éditions de la musique de Sor n’étaient pas toujours claires quant aux dates des compositions, à leur numéro d’opus, à l’identité des dédicataires, aux sources des thèmes musicaux dans les cycles de variations, etc. Parfois, l’auteur lui-même posait question. Matanya s’illustra davantage à la recherche de tous ces détails. Comme il le disait souvent, les détails jettent une lumière sur la biographie d'un grand guitariste, et révèlent les problèmes politiques de l’Espagne post-napoléonienne, la saga de l’exil politique de Sor, etc. Le court séjour de Sor en Russie a amené Matanya à Moscou où légendes et anecdotes locales ont souvent remplacé des éléments d’information. En effet, qui croira aujourd’hui que Ferdinand Sor a été tellement impressionné par le jeu du célèbre guitariste russe Mikhail Vyssotsky, que, par désespoir, il a démoli sa propre guitare sur le piano à queue.

Selon une autre version, il l’a cassée sur la tête de Vyssotsky. Bien sûr, aucune de ces anecdotes n'était vraie. Des sources russes ont attribué à Sor la première utilisation de certains airs russes comme thèmes pour des  variations. Matanya Ophee a révélé qu’on pouvait en attribuer la préséance au  violoniste Bernhard Romberg. Il y avait aussi un dédale d'arrangements. N’oublions pas que les Russes jouaient –et beaucoup jouent encore– sur une guitare à sept cordes. Cela signifie que tout le répertoire populaire des guitares occidentales pour guitare à six cordes devait être réorganisé à l’usage des Russes. Il n’est donc pas étonnant qu’un autre guitariste Andrei Sychra ait arrangé les œuvres de Sor et inversement. Les deux noms apparaissent en tant que compositeurs dans différentes éditions. Qui a plagié qui ?

Et enfin Matanya fit ressurgir Nikolai Petrovich Makarov (1810-1890), personnage fascinant et figure remarquable de l’histoire de la musique pour guitare, ajoutant ainsi un important chaînon manquant au paysage musical européen du milieu du XIXe siècle. En tant que guitariste, Makarov était généreux et un grand passionné, un véritable virtuose, avec une oreille délicate et un goût sensible. Il était enthousiasmé par la recherche du meilleur répertoire et des instruments de la meilleure qualité. Alors, après s'être familiarisé avec le monde des guitares européennes et avoir compris qu'il était en train de connaître une certaine stagnation dans la maîtrise du répertoire et de la production d'instruments, il organisa à Bruxelles (1856) un concours international qui fut un évènement historique très stimulant. Makarov possédait une merveilleuse collection de guitares des meilleurs maîtres luthiers européens et russes. Enfin, il a laissé des mémoires passionnantes et très instructives. Matanya en a fait une traduction révisée qu’il a publiée.

Matanya a beaucoup réfléchi à la pratique du concert d’aujourd’hui. Il  disait  que la guitare est un instrument de chambre. Le salon est son environnement naturel. De plus, à son âge d'or, dans la première moitié du XIXe siècle, la règle était d’associer divers artistes interprètes, en alternant souvent les  instrumentistes et les chanteurs.  Ainsi, lorsque différents musiciens se mêlent au sein d'un même événement musical, cela permet d’éviter une certaine monotonie. Certes, plus il y a de participants, plus les honoraires sont faibles. Mais cela nous ramène au noble passe-temps d'amateurs éclairés, à l'origine de la musique pour guitare.

Peu de gens savent peut-être que « Ophee » était un pseudonyme qui signifie « Caractère » en hébreu ; C’était en effet un homme de caractère. Son véritable amour était la guitare et le choix de son pseudonyme n’était pas sans allusion au mythologique Orphée et à sa lyre dorée, l’ancêtre supposée de la guitare. Matanya, cependant, est son nom d'origine, et cela qui signifie « donner ». Il a incarné ces noms à merveille, avec dignité, avec amour pour les gens et pour la musique. Matanya aimait citer l’aphorisme de Blaise Cendrars, qui a changé sa vie : « On n'a pas besoin de beaucoup de talent ni de connaissances. Tout ce qui est requis est un amour pour ce qui est vrai, une curiosité profonde et un sentiment d'être. »

Marina RITZAREV (2018)
traduit de l'anglais par Jean-Claude Aciman

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Où donc, vers quel insoupçonnable paradis se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

© 2015 par Matanya Ophee.

Je vais commencer par une question qui a été postée récemment par Met Barran sur son blog : Où donc, vers quel insoupçonnable paradis, se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

À ma première conférence consacrée à François de Fossa, il y a de cela dix ans, je vous ai présenté les circonstances qui m’avaient conduit à la découverte de François de Fossa et de sa musique. Le moment le plus fascinant de cette saga fut certainement lorsqu’on retrouva le fonds Fossa dans les Archives Départementales des Pyrénées-Orientales. Il est courant dans le domaine général de la musique, de découvrir et d’étudier les traces écrites laissées par les compositeurs : les esquisses des symphonies de Beethoven, les lettres écrites par Tchaïkovski, Bach se plaignant de ses rémunérations aux autorités, le contrat entre Paganini et Legnani en vue d’une éventuelle collaboration, une collection vraiment énorme de documents originaux et un nombre innombrable de manuscrits, tant personnels que publics.

Malheureusement, nous n’avons pas accès à ce genre de documentation lorsque nous étudions les guitaristes du début du 19e siècle. Certes, nous avons quelques lettres écrites par Giuliani ainsi que des preuves archivées, découvertes récemment, qui font état de son génie musical et de son art de mettre au monde des enfants illégitimes. Ont aussi subsisté quelques lettres de la main de Sor, quelques manuscrits de Carulli et des documents permettant d’établir les dates de naissance et de mort de ces guitaristes. Un triste dossier qui complique nos efforts pour apprendre les détails et la biographie de nos ancêtres musicaux.

En comparaison, le fonds Fossa est une archive unique en son genre. Il offre, en effet, une vue d’ensemble complète de l’homme et de sa vie. Il contient, en plus des copies de lettres qu’il a rédigées à des amis et à sa famille, un nombre considérable de copies de lettres qui, elles, étaient destinées à ses chefs militaires et à ses associés. S’y trouve aussi la copie d’un compte-rendu presque complet de son état de Service, qui fait état de sa carrière militaire dans l’armée française et qui contient aussi des informations pertinentes de son passage au sein de l’armée espagnole.

Y ont été aussi retracés, des documents de nature plus explicite, l’un d’entre eux révélant une relation illicite qu’il aurait entretenue avec une certaine Doña Josefa Ortiz de Domingez dite La Corregidora, une femme qui selon ses dires, ne le séduisit pas une, mais deux fois.

Il existe aussi dans ce fonds d’archives, un grand nombre de documents relatifs à sa femme, Marguerite Sophie Vautrin et à ses deux garçons, Victor et Laurent. Si l’on ajoute les documents répertoriés dans les archives de l’armée française au Château de Vincennes, qui se rattachent à lui et à ses fils, et que l’on y ajoute ses dossiers inventoriés aux archives de l’armée espagnole, –ceux-là, à Segovia en Espagne–, on commence à réaliser l’ampleur du trésor d’informations que nous avons sous la main, une situation unique et qui n’existe tout simplement pas dans les annales de l’histoire des autres compositeurs-guitaristes du début du 19e siècle.

Malheureusement, dans toute cette richesse de documents, il n'existe aucune copie de la musique qu’il avait publiée, ni aucun manuscrit qu'il avait dû préparer au cours de son long engagement musical. Il est tout simplement inconcevable que de Fossa, compositeur si impliqué dans le monde de la musique et ayant publié ce qui peut être considéré comme étant la meilleure musique pour guitare de son temps, n’en ait conservé trace. Connaissant le soin qu’il apportait aux autres documents de sa vie, une question cruciale se pose : Où se trouvent les notes que nous aurait laissé de Fossa à sa mort ?

De la correspondance entretenue avec Louis Picquot, nous savons que les partitions des quintets avec guitare de Boccherini que De Fossa avait copié à Madrid en 1811 étaient louées à Picquot mais ce dernier ne les jamais rendues. Probablement, ces manuscrits furent mis en vente par l’antiquaire Berlinois Leo Liepmannssohn et vendus par la suite, en 1922, à la Bibliothèque du Congrès à Washington où ils sont encore préservés.

Il ne fait pas de doute qu’un compositeur aussi actif, même si sa source principale de revenus ne dépendait pas de la musique, aurait conservé et préservé tous ses manuscrits, transcriptions et arrangements en les archivant avec la même diligence dont il faisait toujours preuve pour la conservation de ses autres documents personnels.

La Déclaration des Mutations de Décès, rédigée le six novembre 1849, cinq mois après sa mort, donne une description détaillée de la valeur de ses biens. Outre les détails de divers documents financiers, les premières entrées font état de ses biens matériels : 730 francs, note la première se rapportant à son mobilier, sans détailler ce qui y est inclus.

Fait intéressant, un inventaire complet mené et certifié par M. L’Avocat, notaire public, le 1er décembre 1849, stipule que dans les biens se trouvent quatre guitares et une harpolyre, d’une valeur établie à 17 francs.

Il est aussi mentionné dans le document que la succession contenait une précieuse collection de manuscrits que la veuve, Marguerite Sophie Vautrin, avait hérité de son père et que, pour cette raison, la valeur de ceux-ci n’avait pas été incluse dans l’héritage de son époux.

Il nous est difficile aujourd’hui d’évaluer ce qu’auraient pu être ces manuscrits. Je suppose que la déclaration stipulant qu’ils provenaient de la part d’héritage du père n’était simplement qu’une façon d’éviter que cette collection de manuscrits ne fasse partie de la succession, parce qu’elle avait déjà été donnée par le compositeur de son vivant à son fils aîné, Victor de Fossa. Au moment de la mort de son père, Victor de Fossa était toujours en service dans le 1er régiment d’infanterie de marine en garnison à la Guadeloupe. Peu de temps après son retour de la Guadeloupe et vivant dans la maison de sa mère, 112, rue de Grenelle à Saint-Germain-des-Prés, il rédigeait, le 8 février 1854, ses dernières volontés et son propre testament.

Ce testament est divisé en quatre parties. L’article 1 traite d’un malheureux conflit que Victor aurait eu avec sa sœur Cécile, l’accusant de « séparation violente et volontaire de sa famille ». Peut-être fait-il référence au fait qu’elle soit devenue nonne et déclare que d’aucune façon, elle ne pourrait « prétendre en rien à ce qui pourrait lui revenir de ma succession ».

Dans l’article 2, il lègue la totalité de ses biens futurs à son frère Laurent de Fossa ainsi qu’à ses héritiers légitimes, « à l’exclusion formelle de ma sœur ». L’article 3 envisage ce qu’il faudrait faire dans le cas où il mourrait avant sa mère. 

L’article 4 est finalement celui où nous trouvons des informations au sujet de certains manuscrits. Je vous le lis en entier :

« Article 4. (Particulier) Héritier, d’après la volonté de mon digne père, de manuscrits précieux, fruit du travail et des peines de toute la vie de mon aïeul, je déclare formellement ici que cette partie de ma succession ne pourrait revenir à mes enfants, si j'en ai, seulement dans le cas où j'aurais un garçon : sinon, ces manuscrits retourneront en toute propriété à mon frère Laurent de Fossa, ou à l'un de ses héritiers directs mâles. En cas de décès sans que les conditions mentionnées ci-dessus pussent être remplies, je donne et lègue en toute propriété lesdits manuscrits à la Bibliothèque impériale, à la seule condition, si elle accepte ce legs, de ne s'en dessaisir, à aucun prix, en faveur du Roussillon et particulièrement de la ville de Perpignan. »

De toute évidence cet article ne parle pas des manuscrits de musique de son père François de Fossa le compositeur, mais bien de ceux de son grand-père, François de Fossa, le juriste. Il est très peu probable, ayant émigré en Espagne, quelques années après la mort de son père en 1789, à l’âge de dix-sept ans, que de Fossa ait eu en sa possession les manuscrits de son père. Il est toutefois possible qu’il ait pu y avoir accès à son retour en France vingt ans plus tard. Cependant, je suis d’avis que la mention du grand-père, lequel n’a vraisemblablement jamais été connu par Victor de Fossa, ait été fondée soit sur des informations erronées qu’il avait reçues de son père, ou, qu’il s’agissait de masquer la nature de ces manuscrits pour des raisons juridiques quelconques, de la même manière que celle employée par sa mère. 

D’autre part, l’étrange contrainte qu'il a imposée, à savoir que ces manuscrits ne devraient en aucun cas aller à la ville de Perpignan, suggère qu'ils étaient en effet des manuscrits créés par François de Fossa, le juriste et directeur du département de droit de l'université de Perpignan. Une enquête sur la provenance de ces manuscrits, appartenant maintenant au fonds Fossa, en particulier en établissant précisément s’ils sont arrivés là en même temps et de la même origine que tous les documents concernant François de Fossa le soldat/compositeur, déterminerait si Victor de Fossa a eu en effet  en sa possession les manuscrits juridiques appartenant à son grand-père. 

Victor de Fossa était mort le 11 Mars 1854, un mois après la rédaction de son testament. Il est clair que son jeune frère Laurent est devenu l’exécuteur officiel de l’héritage de son père et que c’est grâce à lui que cette magnifique collection de documents a survécu. Mais je dois demander à nouveau : Où donc, vers quel insoupçonnable paradis se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

Le dossier Laurent de Fossa dans les archives de l’armée française du Château de Vincennes nous éclaire considérablement sur la nature du jeune homme. Une année après la mort de son père, à l’âge de 18 ans, il s’enrôle à l’école spéciale militaire. S’ensuivra une illustre carrière militaire durant laquelle il occupa divers postes, principalement celui d’officier d’état-major. En 1859, il participe à la bataille de Solférino en Italie, où il est blessé. Il reçoit plus tard la décoration de Chevalier de la Légion d’honneur.

Un an plus tard, il se mariait à Paris avec Anna Claire Rosalie Santerre de Bôves, la fille d’Armand Santerre de Bôves, le premier directeur du système de chemin de fer français. Ce mariage fut apparemment heureux. Peu de temps après, il portait le noble titre de Comte, un titre de noblesse que son père semble n’avoir jamais pris, même si, du fait de sa noble descendance, il y avait droit.

Ce présumé titre permit à sa femme d’être surnommée La Comtesse de Fossa, un titre qu’elle a porté toute sa vie et en vertu duquel elle a été enterrée dans le caveau de famille de son père.

La carrière militaire de Laurent ne tarda cependant pas à péricliter. Pour des raisons qui lui échappent, on le força à quitter son poste à Perpignan et on lui en assigna un à Bastia, en Corse. Là, il s’engagea avec un marchand de vin dans des affaires douteuses de contrebande de whisky en provenance de Marseille. Il eut, de plus, des altercations physiques et des démêlés légaux avec le consul d’Angleterre à Bastia, et par la suite, on l’accusa d’organiser des tirages illégaux de loterie avec des sociétés de loterie allemandes. Il fut réprimandé à maintes reprises par le tribunal militaire et plus tard en 1868, il fut contraint de démissionner de l’armée. Un an après, en août 1869, il fut condamné à 13 mois de prison pour un crime d’abus de confiance. En septembre de cette même année, il se déclara en faillite. Par conséquent, les autorités militaires lui retirèrent son droit d’adhésion à la Légion d’honneur et lui interdirent de porter quelque décoration que ce soit, française ou étrangère.

Le 12 mai 1880, il arriva à New-York et devint le trésorier de la « Mutual Stock Operating Company » et de la « Guarantee and Income Company », deux entreprises sur lesquelles planaient des allégations d’escroqueries.

Il est arrêté et inculpé avec le président de ces deux sociétés, un certain Michel P. Caffe, et Charles M. Wyant, son secrétaire, pour avoir obtenu de l’argent par l’intermédiaire de déclarations frauduleuses. Un rapport détaillé relatant ces faits se trouve dans le New-York Times du 23 décembre 1880.

Cet article contient des informations selon lesquelles des détectives New-yorkais avaient pu établir que :

« De Fossa était issu d’une famille française noble. Il avait fait face à des accusations de fraudes et avait fui. Durant son absence, il avait été reconnu coupable et avait été condamné à une peine de 20 ans d’emprisonnement et de travaux forcés. Sa famille, subséquemment, avait obtenu une remise de peine en payant toutes les dettes et tous les dommages résultant de ses crimes. Entre-temps, de Fossa était allé en Belgique et y avait ouvert une salle de jeux, mais s’était vite vu contraint de s’enfuir aux États-Unis. L’été d’avant, il était retourné en France et s’était retrouvé dans une situation qui lui avait causé de sérieux ennuis, une situation pour laquelle il lui fallut débourser 20 000 FR pour se tirer d’affaire. »

Que ces allégations soient vraies ou fausses, il est clair que la vie de Laurent de Fossa, après qu’il eut quitté le service militaire, fut empreinte de bouleversements et de perturbations.

Quelques années après son arrestation à New York, le 30 décembre 1888, son épouse, la Comtesse de Fossa, avec la participation de son père M. Santerre de Bôves, a annoncé la présentation d’un spectacle sous le titre « Ombres Françaises ». L’annonce, dessinée par son fils de 27 ans François, qui représente en particulier la figure d’un homme militaire cachant son visage sur une table d’écriture, peut être interprétée de plusieurs façons différentes. Cela nécessiterait des recherches qui dépassent  mes moyens limités.

Il est tout à fait raisonnable de supposer qu'à cette époque, Laurent de Fossa n’avait plus aucun contrôle direct sur la collection de documents que lui avait léguée son frère, laquelle se trouve maintenant dans les archives départementales. Mais, encore une fois, la question se pose : Où donc, vers quel insoupçonnable paradis se sont envolées toutes les notes du guitariste ?

Bien que nous ne puissions établir avec certitude cet état de choses, il semblerait que Laurent de Fossa ait vendu quelques manuscrits de musique de son père aux États-Unis.

Au mois d’août de l’année 1926, la guitariste américaine et collectionneuse de musique pour de musique pour guitare Vahdah Olcott-Bickford a écrit une lettre qui a été publiée dans le magazine allemand Der Gitarrefreund et qui décrit ce que contenait sa collection de musique.

Entre autres choses, elle dit :  « J’ai aussi en ma possession les manuscrits de plusieurs autres quatuors par de Fossa. Ils m’avaient été donnés en cadeau par un célèbre flûtiste, alors que je vivais encore à New-York. »

Ces manuscrits sont les partitions autographes des trois trios de l’opus 18 et les trois quatuors de l’opus 19.

Ils appartiennent maintenant à la collection de Vahdah Olcott-Bickford et sont conservés dans la bibliothèque Oviatt à l’université d’État de la Californie de Northridge. Le célèbre flûtiste qui lui en a fait don s’appelait Dayton Clarence Miller, un physicien américain, astronome, acousticien et musicien amateur de grand talent. Nous ne savons pas comment il a obtenu ces manuscrits. Le chemin habituel que prennent de telles antiquités pour changer de mains se fait souvent par les antiquaires spécialisés. Autant que je sache, ces manuscrits n’ont jamais été mis en vente par aucun des antiquaires de renom connu en Europe ou aux États-Unis, ce qui me laisse croire que M. Miller a dû les obtenir d'une personne privée inconnue dans son pays, une personne qui a connu Laurent de Fossa et qui avait des relations financières avec lui. D'une façon ou d'une autre, il pourrait avoir obtenu ces manuscrits en échange de biens ou de services.

Ceci, bien sûr, est une spéculation de ma part pour laquelle je n'ai aucune preuve. Cependant, considérant la présence de Laurent de Fossa aux États-Unis à la fin du 19e siècle et l’apparition de ces manuscrits dans les mains d’un citoyen américain quelques années plus tard, je pense que Laurent, tout en préservant diligemment la collection de documents de son père, n’a peut-être pas voué la même vénération aux manuscrits de musique de la collection et ne voyait rien de mal à s’en servir pour faire fructifier ses gains, selon ses besoins. Par chance, grâce à un concours de circonstances heureux, les manuscrits de l’opus 18 et 19 ont survécu et sont maintenant accessibles à tous.

Lorsque je l’ai rencontrée en 1980, Madame Odette de Fossa d’Ornano m’a dit en passant, au cours de notre entretien, que son père avait fait de regrettables transactions avec certains documents avec un certain revendeur dont elle ne se souvenait plus du nom.

Son père, qui s’appelait lui aussi François de Fossa, était né à Paris en 1861. Il était le fils de Laurent de Fossa et d’Anna Santerre de Bôves. Il est important de noter que, pendant que Laurent s’enlisait dans des affaires scabreuses qui l’amenaient à se déplacer loin de la maison et ce, pour de longues périodes, son fils François occupait déjà un poste d’officier dans le 17e régiment d’artillerie. Il s’était de plus taillé une réputation d’écrivain prolifique pour tout ce qui se rattachait au militaire.

Ses deux livres prodigieux sur l’histoire du Château de Vincennes publiés en 1908, sont des chefs-d’œuvre d’analyse de l’histoire, se concentrant principalement sur les aspects architecturaux de celui-ci. L’architecture a certainement dû être l’une de ses grandes passions, car la majorité de ses aquarelles encore disponibles aujourd’hui, représentent des bâtiments importants.

Il prit sa retraite du service militaire en 1924 alors qu’il occupait le rang de Lieutenant-Colonel. Il est fort probable que c’est lui qui possédait la collection de documents et de manuscrits de son grand-père.

Cette carte, qui représente les allers-retours de notre compositeur au Mexique, s’appuie indubitablement sur des informations glanées dans des lettres que de Fossa écrivit à sa sœur et dans ses documents militaires. Selon toute probabilité, cette carte a été tracée par quelqu’un qui avait un talent certain pour le dessin, c’est-à-dire, François, le petit-fils du compositeur. En d’autres termes, non seulement il avait la mainmise sur la collection, mais il s’était intimement familiarisé avec son contenu.

Le 2 décembre 1921, bien avant que François ne prenne sa retraite du service militaire, Leo Liepmannssohn, fameux antiquaire de la ville de Berlin, offrait ce catalogue à la  vente.

Voici ce qu’il dit :

2) Édition de la méthode d’Aguado avec changements proposés de la main du Major Fossa de Toulon qui est, lui aussi, un guitariste virtuose. […] La correspondance comprend 15 lettres écrites en espagnol et de la main d’Aguado (toutes signées par lui) et les brouillons des 11 réponses de de Fossa.

Le fait que soient incluses dans ce lot des copies des lettres écrites par de Fossa à Aguado, indique clairement qu’il provenait de la collection de documents qui, à ce moment de l’histoire, appartenait à François de Fossa, le petit-fils du compositeur. La collection avait été vendue en janvier 1922 à Erwin Schwartz-Reiflingen qui en avait promptement fait l’annonce dans son propre magazine de guitare intitulé Die Gitarre.

La maison de Schwartz-Reiflingen fut complètement détruite par des bombardements alliés durant la deuxième guerre mondiale et la collection est probablement perdue. 

Peut-être s’agit-il là de la malencontreuse transaction, ou de l’une d’entre elles, dont parlait Madame de Fossa d’Ornano lors de notre rencontre en 1980.

Tout ce qu’il nous reste à faire à présent, est d’essayer de découvrir où se trouve le reste des manuscrits de musique que de Fossa avait en sa possession au moment de sa mort. Permettez- moi de vous suggérer une voie possible vers ce paradis insoupçonnable. François de Fossa, le petit fils de notre compositeur, est mort en 1936.

Il est enterré dans le même caveau de famille que la famille de Santerres de Boves, avec sa mère. Nous n’avons aucun moyen, et ce n’est absolument pas notre affaire, de savoir pourquoi il est enterré dans ce caveau, et non dans celui de la famille de Fossa au cimetière du Montparnasse à Paris, où est enterré son père Laurent. Toutefois, cette situation suggère que dans les dernières années de sa vie, il avait un fort attachement à la famille de sa mère, en particulier lorsque ses parents du côté paternel n’étaient plus en vie.

Maintenant, et cela peut vous paraître une idée saugrenue… Mais je ne serais pas surpris que si vous trouviez des descendants de la famille de Santerre de Boves, vous pourriez aussi trouver les manuscrits de la musique de François de Fossa.

En conclusion, permettez-moi de décrire ce que nous savons à propos de la musique de F.de Fossa. Nous n’avons vraiment aucune idée de sa prolixité de compositeur. Il peut avoir composé beaucoup plus de musique que ce qui nous est parvenu. Mais nous savons que qu’il a publié 21 opus de musique. Nous avons la plupart de ces publications, mais il nous manque encore les numéros d'opus 2, 3, 4, 7 et 20. Nous connaissons aussi plusieurs œuvres de lui sans numéros d’opus, mais nous ne savons pas si nous en possédons l’intégralité. Voici un exemple séduisant :

Cet exemple vient de la deuxième édition espagnole de la Escuela d’Aguado, publié à Paris en 1826. Comme je le disais dans un autre contexte, il est possible de montrer que toute la partie théorique dans cet ouvrage a été écrite par François de Fossa. Là, il est question de la troisième variation d’un deuxième duo pour guitares par de Fossa. En d'autres termes, non un arrangement que quelqu'un aurait pu faire, mais une composition originale. On nous dit aussi qu'il y avait un premier duo et peut-être nous pouvons imaginer qu'il y en avait aussi un troisième. À mon âge, je ne suis pas capable de prendre une part active à la chasse de cette musique. Donc, tout ce que je peux faire maintenant est souhaiter que vous, les jeunes chercheurs, trouverez cette musique et ainsi, vous pourrez enrichir le patrimoine de ce fils prodigieux de Perpignan.

Merci de votre attention.

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À la recherche de François de Fossa

© Copyright 2005 by Matanya Ophee.

Ce dont je vais vous parler, ce n’est pas une discussion musicologique, mais une histoire de détective. Le sujet n’est pas comment j’ai découvert François de Fossa, mais plutôt comment lui, compositeur/guitariste, vivant au début du XIXème siècle, m’a trouvé en dépit des barrières du temps.

Il y a trente ans environ, j’habitais à Concord, New Hampshire. Parmi mes loisirs habituels de cette époque je jouais de la guitare dans un petit ensemble de musique de chambre. A ce moment-là, il n’y avait guère de musique pour guitare et autres instruments, et très rapidement nous avons fait le tour du répertoire existant, les quintettes de Boccherini, le quatuor de Schubert, le trio de Kreutzer, les œuvres de Paganini et d’autres pièces du même genre. Il était temps d’en rechercher d’autres.

En fouillant dans une librairie je trouvais le Catalogue Thématique de l’œuvre de Boccherini par Yves Gérard. Et dans cet ouvrage je trouvais une information au sujet de la symphonie en Ut majeur de Boccherini qui incluait une partie de guitare dans l’orchestration. Cela paraissait intéressant , alors j’écrivis à la « Bibliothèque de l’Opéra » à Paris, où était gardé le manuscrit autographe. Ils m’envoyèrent un microfilm de la partition intégrale. A cette époque de ma vie, je n’étais pas musicologue, mais juste un musicien exécutant, gagnant sa vie comme pilote de ligne. Je n’avais réellement aucune idée de quoi faire avec un microfilm, jusqu’à ce qu’un de mes amis musicien me suggéra d’aller à la bibliothèque publique locale où il devait y avoir des machines pour lire les microfilms. La visite à la bibliothèque fut un échec. Ils n’avaient aucun lecteur de microfilms, car après tout, c’était une toute petite ville où il n’y avait aucune demande pour ces sortes de machines, mais ils me suggéraient d’aller à la State Library (bibliothèque d’État) du New Hampshire, où ils auraient certainement ce dont j’avais besoin. La ville de Concord est la capitale du New Hampshire, et la State Library est le dépositaire officiel de tous les documents légaux et politiques, les différents journaux locaux, le recensement cadastral et divers autres documents très éloignés de la musique.

En m’approchant de la bibliothécaire référente de la State Library, prêt à l’interroger au sujet des lecteurs de microfilms, je remarquai derrière elle une petite armoire pour des fiches de catalogue avec un écriteau qui disait : Musique

C’était étrange pour un archivage de documents légaux de la région, alors je demandai à la bibliothécaire si elle savait quelque chose au sujet de cette armoire avec musique. Elle se retourna, la regarda avec une surprise absolue, et me dit :

– je ne l’avais jamais vue auparavant.
– Vous voulez dire qu’elle a été installée derrière vous il y a quelques minutes ? demandais-je
– Non —répondit-elle— Je suis assise à ce bureau depuis 27 ans, et elle a toujours été là, mais je n’avais jamais remarqué que l’écriteau disait MUSIQUE.

Alors, avec son autorisation, j’ai commencé à lire les fiches. C’était apparemment une très grande collection de musique qu’un bon citoyen avait léguée à la State Library une génération ou deux précédemment, et personne n’y avait porté attention. J’ai immédiatement trouvé une collection de musique pour guitare. Une partie était la musique de compositeurs que je connaissais bien, avec des pièces que j’ai jouées toute ma vie, mais quelques-unes étaient entièrement nouvelles pour moi. Une de celles qui a attiré immédiatement mon attention était une composition pour guitare, variations sur les Folies d’Espagne par un certain François de Fossa, dont je n’avais jamais entendu parler avant. J’ai obtenu des copies de la musique et les emportai chez moi pour les jouer.

Il existe de nombreuses variations sur le thème des Folies d’Espagne, mais celui-ci fit instantanément monter ma tension. La seconde variation était une pièce que j’avais connue toute ma vie comme une Étude originale de Campanelas de Francisco Tárrega.

Ah ! me disais-je, c’est clairement un cas de plagiat. Comment ce Français a-t-il volé une œuvre musicale du grand Francisco Tárrega ? Ou était-ce le contraire ?

Je savais que Francisco Tárrega était né en 1852 et décédé en 1909. La première étape était de trouver quand ce de Fossa était en vie. Les dictionnaires et encyclopédies habituels n’étaient d’aucun secours. Les dictionnaires généraux n’en faisaient pas du tout mention, et ceux qui étaient consacrés à la guitare le mentionnaient simplement comme un guitariste amateur du début du XIXème siècle. Tout en cherchant cette information, je commençais à rechercher plus de musique de Fossa et, en peu de temps je compilai une collection considérable de pièces de diverses bibliothèques. En examinant ces ressources très riches , j’ai rapidement réalisé que ce compositeur inconnu était en fait un acteur majeur de son époque, un acteur qu’il fallait faire revivre et mettre en lumière.

Le goût de de Fossa dans la composition musicale, à en juger par les œuvres que l’on connait, se tournait directement vers la musique de chambre avec d’autres guitares et avec les instruments à cordes et le piano. Ses compositions originales montrent un solide niveau de sophistication musicale. Ce n’était pas une simple répétition de formules, mais une tentative de créer une musique originale en phase avec son époque.

Les compositions de de Fossa montrent une richesse exceptionnelle de matériel mélodique et de drôles de surprises y sont dispersées. Des rythmes syncopés souvent liés à des pédales dissonantes, des dynamiques inattendues, des tours de passe-passe harmoniques, des modulations inhabituelles et fréquentes dans une riche texture du type de dialogue, tout ceci contribue à créer une musique vibrante et intense.

Le compositeur connaissait bien la guitare ; l’écriture est idiomatique techniquement et exploite une large variété de ressources instrumentales. Assurément, son travail montre un goût certain dans le traitement des schémas classiques et un haut niveau de technique compositionnelle.

Une de ces compositions de de Fossa que je trouvai alors était ses variations sur La Tirolienne , Op. 1.

Sur la page de titre de cet ouvrage, le compositeur est ainsi décrit :

En parlant de mes préoccupations avec un ami, celui-ci m’apprit qu’il y avait une œuvre du guitariste espagnol Dionisio Aguado, les Trois Rondeaux Brillants op 2 , qui étaient dédicacé à « Mon ami François de Fossa »

Une description identique de ses liens avec l’armée comme sur la page de titre des Follies d’Espagne. Ainsi, si de Fossa et Aguado étaient amis, ils étaient manifestement de la même génération. Je savais qu’Aguado était décédé en 1849, ce qui signifie sans équivoque que la petite étude de Campanella n’a pas été empruntée à Tárrega par de Fossa, mais exactement l’inverse. Alors, qui était cet homme ?

Pour trouver la réponse à cette question, je partis pour Washington et j’y passais cinq mois à travailler dans la Library of Congress, en examinant plus de 5000 livres sur l’histoire de l’Armée Française dans cette énorme bibliothèque. J’ai même trouvé une histoire du 23ème régiment de ligne, mais la seule pièce d’information pertinente que je pus glaner était qu’en 1823 le régiment était commandé par le

Comte de Montboissieur, un nom que je connaissais car les trois quatuors op 19 de de Fossa lui étaient dédiés. Mais pas un mot sur de Fossa lui-même.

J’étais sur le point d’abandonner et de rentrer chez moi, lorsque tout à coup, j’ai réalisé que j’étais en train de regarder dans la mauvaise direction. Oui, mon homme était officier militaire, mais avec le préfixe « de » accolé à son nom, il pouvait aussi appartenir à une famille de la noblesse. Alors je cherchai dans plusieurs dictionnaires de la noblesse française , et assez rapidement, j’ai trouvé un livre intitulé Dictionnaire des Familles Françaises, où j’ai trouvé la liste de deux différentes familles portant le nom de de Fossa. L’une descendait des Huguenots et était basée à Poitiers, et l’autre était à Perpignan. Le chef de cette famille était un professeur de droit à l’Université de Perpignan nommé François de Fossa décédé en 1789. Quelques années avant sa mort, il fut anobli par Louis XVI. Naturellement, cet homme ne pouvait pas être celui à auquel Aguado avait dédicacé sa musique.

Alors j’avais le choix. Je pouvais me diriger au Nord à Poitiers ou au Sud à Perpignan. Mais peut-être parce que je suis guitariste, je savais que la plupart des choses de valeur dans l’histoire de la guitare et dans son répertoire étaient créées par des guitaristes Catalans, de Fernando Sor à Miguel LLobet et Emilio Pujol. J’ai décidé d’essayer d’abord Perpignan.

Ma première étape était le 12ème étage de la bibliothèque du Congrès, où ils gardent les coordonnées téléphoniques de toutes les villes du monde. Nous sommes encore en 1979, et Internet n’existe pas encore. Je trouvai l’adresse des Archives Départementales des Pyrénées Orientales à Perpignan et je leur adressai une lettre.

Je leur demandais ceci : voici ce que je sais : un militaire qui est aussi musicien, et un professeur de droit à l’université, tous deux nommés François de Fossa. Que pouvez-vous me dire à leur sujet, et ont-ils une quelconque relation de famille ?

Sous quinze jours je reçus de leur part un gros paquet avec l’inventaire complet du Fond de Fossa de leurs archives, et la réponse que ces deux personnes avaient vraiment des liens. C’étaient le père et le fils.

J’étais à Perpignan en 48 heures.

Je passai un semaine passionnante à travailler aux archives, construisant pas à pas une image complète de la biographie de cet homme étonnant. Rien qu’en lisant les 300 lettres qu’il écrivit à sa sœur Thérèse Campagne pendant 27 ans, à partir de son exil en Espagne et à Mexico, j’ai pu appréhender profondément le caractère et la personnalité de ce gentleman.

François de Fossa est né à Perpignan le 31 Août 1775. Son père, nommé aussi François de Fossa, était l’un des historiens les plus importants du Roussillon. Il était un juriste distingué, à la tête de la faculté de droit de Perpignan et un écrivain prolifique.

On ne connaît pas grand-chose de l’éducation du jeune François. Mais absorbé par l’érudition et l’apprentissage qui imprégnaient la maison où il a grandi, on ne peut qu’en déduire qu’il a été exposé à la culture musicale dès sa jeunesse.

Après la déflagration de la Révolution française, de Fossa émigra rapidement en Espagne où il rejoignit l’armée espagnole comme Volontaire dans une compagnie d’Officiers de l’Armée Française et Gentilhommes de la Noblesse, appelée Légion des Pyrénées . Il y servit depuis la création du bataillon en 1793 et participa à bon nombre de ses campagnes. En 1796 il fut appelé par Miguel d’Azanza, à ce moment ministre espagnol de la guerre , pour servir directement sous ses ordres. En 1798 D’Azanza fut nommé Vice-Roi de Mexico par Carlos IV et il emmena de Fossa avec lui. Après avoir passé quelque temps dans les villes de Mexico et Puebla, de Fossa rejoignit la compagnie d’infanterie à Acapulco comme « Cadet Gentilhomme ». En 1800 il fut promu au grade de second Lieutenant. Il rentra en Espagne sur ordre du Roi en 1803. Après plusieurs nominations et promotions militaires, il fut assigné au Ministère des Indes comme Chef de Bureau. Finalement, il rejoignit son régiment avec le grade de Capitaine. Lors de la Bataille de Grenade, le 29 janvier 1810, il fut prisonnier des Français, emmené à Madrid où il fut libéré sur parole par Joseph Bonaparte et assigné par celui-ci à son ancien poste du Ministère des Indes. À la chute de Bonaparte en 1813, il s’enfuit en France avec l’armée française qu’il rejoignit en tant que Capitaine. De Fossa retourna en Espagne, cette fois-ci du côté français en prenant part à la campagne du Duc d’Angoulême en Catalogne en 1823. A la fin de cette campagne, il fut promu au rang de Chef de Bataillon, et en 1825 devint Chevalier de la Légion d’Honneur. Plus tard, il a participé à la guerre contre l’Algérie. Il se retira du service militaire en 1844. François de Fossa est décédé à Paris le 3 Juin 1849.

Il semble que de Fossa a déjà commencé à composer pour la guitare en 1808. Dans une lettre écrite de Madrid cette même année à sa sœur à Perpignan il raconte ses tentatives pour relever son maigre salaire gouvernemental en composant de la musique pour guitare. Il raconte aussi que certains de ses quatuors ont été joués en public et qu’il était surnommé le Haydn de la guitare par ses admirateurs.

Mais en 1808 Madrid n’était pas le meilleur endroit pour mener une carrière musicale et il réalisa rapidement qu’il devait chercher fortune à travers d’autres professions. De Fossa n’a jamais réellement fait de la musique sa carrière à plein temps. Cela ne l’a pas empêché de composer, et avec le temps, de publier en France et en Allemagne un nombre considérable d’oeuvres musicales.

En parlant avec l’archiviste de Perpignan, je lui demandai où il avait eu tout ce matériel. Il l’avait reçu 20ans auparavant d’une vielle dame à Marseille qui était une descendante directe de la famille. Il avait conservé son adresse et son numéro de téléphone, mais il n’était pas sûr que cette dame soit toujours en vie.

J’appelais.
– « Madame de Fossa ?
– Oui. »

Cette réponse me donna la chair de poule, et pendant quelques secondes je restais sans voix. C’était, pour moi, comme si j’appelais Madame Mozart et que j’obtenais la même réponse. Je finis par me reprendre et j’expliquais à cette dame que j’étais un musicologue américain étudiant l’histoire du compositeur François de Fossa, qui avait dû être son grand-père, et je serais enchanté d’avoir la chance de la rencontrer et de lui poser quelques questions. Elle me répondit immédiatement que j’étais en train de perdre mon temps, quand à elle, car il n’y avait jamais eu de musicien dans la famille, mais seulement des militaires. Mais j’insistait et lui demandait de bien vouloir m’accorder enfin cinq minutes. Elle accepta finalement mais en me prévenant que le lendemain elle était très occupée , car elle avait un sérieux problème de plomberie dans sa salle-de bains, et que le propriétaire refusait de le réparer, et que son fils allait venir et régler l’affaire avec le propriétaire récalcitrant.

Je ne savais pas trop dans quel genre d’ennuis je m’embarquais. J’étais très inquiet à ce sujet, mais en tant qu’ historien , la chance de rencontrer un descendant direct d’un compositeur du début du XIXème siècle, était si puissante et stimulante, que je jetais ma prudence aux orties et pris le train pour Marseille.

Le jour suivant, à 10 heures pile, je me présentai et sonnai à sa porte. La porte s’ouvrit, et quelque chose d’incroyable arriva. L’instant d’avant j’étais dans le bruit et l’agitation du Marseille moderne du XXème siècle, et dès que j’avais franchi la porte, j’étais transporté au XIXème siècle, comme dans une machine à remonter le temps. Et j’ai immédiatement réalisé comme j’avais eu tort en l’imaginant la veille.

Odette de Fossa d’Ornano était une vieille dame de 96 ans à ce moment-là, une petite femme mais avec un regard clair et vif, l’image même de la noblesse.

Elle me permit aimablement d’examiner la multitude de dessins et de portraits suspendus aux murs de l’appartement, tout en continuant à m’avertir que d’un moment à l’autre son fils allait arriver pour régler le problème avec le propriétaire. Il s’avérait que son fils était l’un des meilleurs avocats en France, connu sous le nom de Maître Roland d’Ornano.

Une des images sur le mur attira mon attention. C’était un petit camée ovale montrant un jeune homme en uniforme militaire.

Elle ne savait pas qui était cet homme, et ce pouvait être son père, lui aussi militaire. Je savais que ce n’était pas possible, car son père devait être militaire au début du vingtième siècle, et le peu que je savais des uniformes militaires suggérait qu’il s’agissait d’un officier d’une période bien antérieure.

Je lui demandais la permission de photographier le camée, ce qu’elle m’a autorisé à faire. Alors j’ai pris congé d’elle, pour ne pas m’imposer davantage.

En rentrant chez moi, j’ai développé la photo et commencé à l’étudier.

J’ai cherché dans des bibliothèques des informations sur l’uniforme militaire français, et il était évident que c’était celui d’un chef de bataillon.

J’ai alors identifié les trois médailles sur la poitrine de l’officier et elles correspondaient parfaitement aux médailles que François de Fossa avait reçues comme il était indiqué dans ses documents militaires qui faisaient aussi partie des archives de Perpignan, l’ordre de Saint Louis, l’Ordre de San Fernando et la légion d’honneur. Mais cela pouvait correspondre à n'importe qui, et pas forcément mon compositeur.

Par chance, il m’était possible de montrer cette photo à Vladimir Tarasiuk à New-York, personne qui toute sa vie était conservateur des uniforme militaires au Musée de L’Hermitage à Leningrad. Il regarda l‘image et dit :

C’est un chef de bataillon de l’armée française entre 1815 et 1825, qui appartenait au 23ème régiment de ligne.

Je savais que François de Fossa appartenait au 23ème régiment, mais comment, lui, Vladimir Tarasiuk, pouvait-il le savoir ? c’est très simple, dit-il. Le numéro du régiment est toujours inscrit sur les boutons de la tunique.

C’était la preuve définitive qu’il s’agissait du portrait d notre compositeur. Plusieurs années après, je rencontrai à Marseille Maître Roland d’Ornano, le fils d’Odette de Fossa, et il m’a aimablement donné le second portrait du compositeur, image qui est connue maintenant dans le monde entier, et je dois dire, le seul portrait en couleur du guitariste compositeur du début du XIXème siècle.

Soit-dit en passant, je ne suis jamais allé à Poitiers.

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