Des hommes et le Roussillon

François de Fossa fils (1775-1849) officier supérieur et … compositeur de grand talent.

C’est l’histoire invraisemblable d’un homme né à Perpignan et qui, on ne sait où ni comment, écrit une musique très en avance sur son temps. Abandonnée à sa mort dans des cartons, elle sera découverte fortuitement par un guitariste américain qui se mettra en quête de la faire reconnaître et apprécier du monde entier.

Lorsque un père et un fils portent le même prénom et qu’ils ont été tous deux des personnages marquants de leur temps, une certaine confusion se crée forcément à leur sujet. Qu’a fait l’un ? Qu’a fait l’autre ? De qui parle-t-on ? À fortiori, lorsque plus d’un siècle et demi nous éloigne d’eux. C’est peut-être pour cette raison que François de Fossa fils, un musicien aujourd’hui renommé mondialement, est quasi inconnu ici, éclipsé par la personnalité de son père. Pour en dire un mot, de ce père célèbre (1726-1789), sachons simplement qu’il a été juriste, homme de lettres, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Perpignan et grand historien. La rue de Perpignan qui porte le nom François de Fossa, créée en 1912, est donc dédiée au père, François le fils n’étant en ce moment-là pas connu. Et pourtant sa vie vaut d’être contée !

Une découverte fortuite

Lors d’un récital qu’il donne au Festival International de Guitare de Cracovie, en Pologne, J. Francisco Ortiz, professeur de guitare au Conservatoire National de Région de Perpignan, fait la connaissance d’un éditeur et musicologue américain qui lui dit être en possession de partitions pour guitare écrites par un certain François de Fossa. La curiosité fait place à l’étonnement lorsque F. Ortiz déchiffre ces partitions parfaitement inconnues jusqu’ici. Des « œuvres particulièrement belles que je me mis en tête de faire connaître » dit F. Ortiz. Et une question taraude son esprit : « Comment se fait-il que cette musique ne soit pas arrivée jusqu’à nous alors qu’il était l’ami intime à la fois de Dionisio Aguado dont il traduisit la méthode en français et de Fernando Sor dont aucunguitariste n’ignore les études ? » L’explication lui en sera donnée un peu plus tard par l’étonnante histoire que raconte cet américain à la fois guitariste, musicologue et éditeur, Matanya Ophee qui, en 1979, découvre par hasard une œuvre de de Fossa à Concord, dans le New Hampshire. La qualité de la partition entraîne Ophee dans une très longue démarche de recherches sur François de Fossa. Et l’invraisemblable se produit : Ophee découvre qu’il existe bel et bien à Perpignan un dépôt inexploité fait depuis une vingtaine d’années aux archives par une dame de Marseille, descendante directe de la famille de Fossa. Prenant contact par téléphone avec cette dame, l’américain n’en croit pas ses oreilles lorsqu’il entend la voix de Madame de Fossa. « C’est un peu comme si j’avais eu Mme Mozart au téléphone, » dira-t-il. Et cette rencontre va enclencher un long travail de découverte et de reconnaissance de l’œuvre immense de ce génial compositeur. Ajoutons que, selon Matanya Ophee qui a fait une thèse sur la guitare, François de Paule de Fossa aurait introduit la guitare en Amérique, via le Mexique.

Militaire et baroudeur

François de Paule de Fossa naît à Perpignan le 31 août 1775, de François et Thérèse Beauregard. De ses études et de son éducation on ne sait rien sinon que son milieu familial érudit lui donne accès à une culture développée et ouverte aux arts et à la musique. Le domicile de la famille de Fossa se situe au cœur de la ville, rue Fontaine Na Pincarda, face à la fontaine. La Révolution et le décès de son père en 1789 le font émigrer en Espagne en avril 1793. Il y rejoint l’armée du Roussillon avant d’entrer au service de Miguel d’Azanza, ministre de la guerre puis vice-roi de la Nouvelle Espagne (Mexique). De 1798 à 1803, de Fossa accompagne le vice-roi dans ses campagnes au Mexique où il sera commandant de la 4ème division de la Milice de la Côte Sud. De retour en Espagne, il est nommé à l’État-Major de l’Armée Espagnole, à Cadix. Chef de bureau du ministre des Indes en 1808, il reste attaché à son régiment et, lors de la bataille de Grenade, le 27 janvier 1810, il est fait prisonnier par l’armée napoléonienne et emmené à Madrid. Il sera libéré par Joseph 1er, le nouveau roi d’Espagne et retrouve son poste au ministère des Indes. A la chute de Joseph 1er, en 1813, il se réfugie en France avec l’armée napoléonienne et se retrouve capitaine de la Légion Départementale de l’Allier qui deviendra le 3e Régiment de Ligne. Sa carrière militaire se poursuit dans diverses villes de garnison françaises et c’est à Strasbourg qu’il prend pour épouse en 1825 Marguerite Sophie Vautrin. Trois enfants naîtront de leur union, Cécile, Victor et Laurent. En 1830, il participe également à la conquête de l’Algérie. Retiré de l’armée en 1844, officier de la Légion d’Honneur, François de Fossa décède à Paris le 3 juin 1849.

Et la musique ?

Une carrière militaire aussi mouvementée peut-elle laisser une place à la composition musicale ? Cela semble bien compromis et pourtant, les premières œuvres sont datées de 1808. Ce détail est connu par une lettre qu’il adresse de Madrid à sa sœur Thérèse Jaubert de Campagne, demeurant à Céret. « (…) les connaissances que j’avais acquises dans la musique et dans la composition m’avaient donné l’espoir de me rendre utile au public et de gagner au moins ma vie à composer pour la guitare (…) Mon premier essai redouble mon espoir : une œuvre de quatuor que je fis entendre ici fut reçue avec enthousiasme ; on m’a prodigué des éloges, on m’a appelé le Haydn de la guitare » Propos enthousiastes vite rattrapés par la réalité car, lorsqu’il voulut tirer parti de son talent de compositeur, on ne lui offrit que quelque misérable argent « de quoi payer seulement le papier » ajoute-t-il, amer. Disons aussi que la situation financière du jeune homme n’est guère florissante. De Madrid, il dit dans ses lettres que ses émoluments ne sont pas à la hauteur du poste qu’il occupe et que, parfois, il n’est même pas payé. Fossa ne fera donc jamais une carrière de musicien à temps plein mais, loin de se décourager, il crée des œuvres dont les qualités premières sont la recherche et la fraîcheur. N’ayant à composer que pour lui-même, il ne subit aucune contrainte d’ordre commercial et sans doute voit-on dans cette situation de liberté totale la clef du nouveau genre qu’il développe. Matanya Ophee, le musicologue américain, écrit en 1990 : « ces pièces surprennent par la richesse inhabituelle de leur matériau mélodique, ainsi que par les amusantes inventions dont elles sont parsemées. Rythmes syncopés, souvent alliés à des pédales dissonantes, effets dynamiques inattendus, prestidigitations harmoniques, modulations fréquentes et imprévues, tout cela contribue à créer une musique intense et vibrante (…) Sans aucun doute, la contribution principale de Fossa au répertoire de la guitare, par-delà même sa propre musique, réside dans le fait que, sans lui, nous n’aurions jamais connu les quintettes pour guitare de Boccherini, qui sont peut-être la pierre angulaire de la musique de chambre avec guitare ».

Reconnu mondialement

Qu’en est-il aujourd’hui, dans son pays de naissance ? Outre J. Francisco Ortiz, qui a enregistré dans les locaux du Castillet l’œuvre de Fossa pour guitare seule et qu’il a eu le plaisir de présenter à Mexico, à Acapulco et à Jaèn, lieux où résida de Fossa, l’association « l’Art et la Manière » est désormais le partenaire culturel du « Quatuor François de Paule de Fossa » qui s’est produit au Festival de Palau del Vidre cet été 2005 lors de la journée hommage dédiée au compositeur en présence de musiciens et musicologues du monde entier, de Maître Roland d’Ornano, du barreau de Marseille et de Nice, descendant direct du compositeur par sa mère, Matanya Ophee, musicologue et éditeur américain, Jacques Quéralt, animateur du colloque, Jacqueline Veisse-Maspharmer, auteur de « François de Fossa, journal d’un émigré catalan », Michel Peus ancien directeur adjoint du C.N.R. de Perpignan, Joan Peytavi, Universitaire. Le « Quatuor opus 19 » de François de Fossa a été à cette occasion remarquablement interprété par J.Francisco Ortiz et Pascal Goze à la guitare, Paule-Pascale Rabetllat au violon et François Ragot au violoncelle.

Quant au parcours maintenant mondial du compositeur, citons entr’autres les CD de Kazuhito Yamashita, (1995), 3 Quatuors enregistrés chez Stradivarius par Lorenzo Micheli, Matteo Mela, Ivan Rabaglia et Enrico Bronzi, le 1er enregistrement mondial avec instruments d’époque « The complete 9 String Quartets » avec Jukka Savijoki et Erik Stenstadvold (2001), Grand Duo de guitare du Festival de Malbronn 2001, « Concertants 3 op.18 » F. de Fossa, Simon Wynberg, Bryan Epperson, Martin Beaver.

Condensé de son œuvre

  • Compositions originales (nombreux quatuors, duos, solos) certaines restent encore à découvrir,

  • Arrangements des compositions de Haydn,

  • Nombreuses transcriptions d'ouvertures d'opéras,

  • Adaptation en français de la Méthode de guitare de Dionisio Aguado.

Une bibliographie de ses œuvres a été publiée aux Editions Orphee (Etats-Unis).

Sources

  • Notices sur François de Fossa, par Matanya Ophee, J.Fransisco Ortiz, Jacques Quéralt, Jacqueline Veisse-Maspharmer, collationnées et aimablement communiquées par Marielle Olive,

  • Extraits de presse (L’Indépendant des 22 et 27 juin 2005) art. de J-M Collet et B. Gorrand. Contact : « Quatuor François de Paule de Fossa »

  • Organisation de concerts : Association « l’Art et la Manière », Marielle Olive : Tél : 04 68 50 97 34, Port : 06 22 80 34 01, Mail : art.maniere@wanadoo.fr Illustration : Portrait de François de Fossa (envoyé par mail au journal par M. Olive).
    avec l’aimable autorisation de Maître Roland d’Ornano

Jean RIFA

Précédent
Précédent

La carrière du juriste François Fossa est exceptionnelle

Suivant
Suivant

François Fossa, le Roussillon et les élites roussillonnaises à la fin du XVIIIe siècle (une esquisse)